Vers précipités

Cette page propose les résultats d’une expérimentation formelle : un procédé placé modestement dans le sillon des aînés qui ont jeté les bases de la poésie expérimentale et de la poésie concrète : poésie spatiale d’Ilse et Pierre Grenier, et, plus récemment, les caviardages et poèmes express de Lucien Suel ou encore la blackout poetry, mais aussi certains des travaux de Philippe Jaffeux sur la simultanéité, l’agencement des espaces/rythmes dans la page, le texte en mouvement.

Appelons ça des « vers polymérisés » ou encore « vers précipités » — précipités au sens chimique : précipités au fond de la page comme au fond du tube à essai.

Contrairement à ce qui se pratique en blackout poetry, il n’y a pas effacement actif (au marqueur noir en général) du texte d’origine. Ici, les fragments « s’auto-raturent » eux-mêmes dans leur chute, formant un dépôt illisible, sauf ceux qui n’en croisent aucun autre. Ces derniers, émergeant de la rature, créent un sens — qui était déjà présent mais latent, comme « en solution » (pour filer la métaphore chimique).

Cela a affaire :
– à la plurivocité du texte ;
– à la tension entre le lisible et l’illisible ;
– également au distinguo vers/mètre/phrase [discuté dans l’ouvrage d’Ivar Ch’Vavar Echafaudages dans les bois] : classiquement le vers et le mètre — c’est-à-dire la longueur typographique, physique de la ligne — coïncident ou alors le vers est plus long et se crée un enjambement. Dans cet exercice, les vers du texte d’origine sont plus petits que le mètre final (mesuré ici en nombre de caractères). En outre, la phrase obtenue est également singularisée, distincte à la fois des vers et du mètre.

Toutefois, là où les pratiques expérimentales classiques adressent l’aléatoire et la spontanéité (dans une démarche dadaïste), il faut reconnaître qu’ici c’est à partir de la phrase finale qu’est construit le texte de départ (dans un va-et-vient entre les deux plutôt). Autrement dit : à rebrousse-poème, en trichant… Il semble difficile de faire autrement car la contrainte est en vérité très forte : il ne s’agit pas seulement que des fragments émergent lisibles pour faire sens mais que tout le reste « s’auto-rature » pour ne pas polluer le lisible. L’intérêt en termes de création automatique s’estompe donc nettement… Reste le jeu théorique.

Rouge de crésol

Bleu de bromothymol

Vert de malachite

Jaune d’alizarine

[Les titres des sections ci-dessus sont quatre noms d’indicateurs colorés utilisés dans la détermination du pH d’une solution par titrage colorimétrique : rouge de crésol, bleu de bromothymol, vert de malachite, jaune d’alizarine.]