Tératologie de la métaphore

« Monstre double » de type iniodyme en « Y ».
Gravure du médecin Allemand Rüff (XVIe siècle) (site du Docteur Aly Abbara qui comporte une classification exhaustive des « monstres tératopages », ou Siamois, ou jumeaux conjoints).

« Même le plus contre-nature est encore nature. »
(Goethe)

« L’image, par l’égalité des termes qu’elle instaure,
dit autant l’atavisme de l’être que son altération. »
Laurent Albarracin (De l’image, 2007)

À la galerie d’anatomie comparée du Muséum national d’histoire naturelle, je viens admirer la magnifique collection de squelettes et spécimens animaux, avec la garantie que l’objectivation rationnelle, l’anonymisation de tous ces individus, hommes, femmes, enfants, bêtes des mers, des airs et de la terre, me préserveront de sentiments autres que le pur éblouissement face à l’unité fondamentale du règne animal. Mais je sais bien, en réalité, qu’un peu à l’écart, sur les derniers rayons des boiseries de l’immense salle baignée du soleil de mai, la présence de Rita et Cristina provoquera mon malaise. Que ce malaise sera teinté de fascination. Que je me réfugierai dans la lecture concentrée du cartel explicatif… Nées en 1829 en Sardaigne, les siamoises Parodi partageaient une seule paire de jambes, un bassin, un anus, une vulve et un gros intestin, mais possédaient deux têtes et deux paires de bras. Lors de leur venue à Paris, l’anatomiste Isidore Geoffroy Saint-Hilaire observera avec surprise combien les fillettes étaient différentes l’une de l’autre, dans leurs réactions, leur humeur, leur appétit, leur santé… Elles meurent à l’âge de huit mois, l’une emportée par la bronchite de l’autre — « Comme si une âme commune eut animé ces deux êtres, si différents cependant par leurs sensations et leur volonté », écrira de Docteur Saint-Ange. Rita et Cristina nous obligent à prendre en considération ce que l’on voudrait croire impossible, un corps unique, certes dédoublé pour partie mais indivis, portant deux individualités distinctes. Une identité désunie, une altérité continue. Le monstre nous surprend dans notre être, nous renvoie à notre ontologie intime et d’espèce, à la fois rassurée dans sa remarquable constance et comme définitivement fragilisée.

Ce texte tente une modélisation du fait métaphorique — objet d’intenses débats des plus anciens aux plus contemporains — par un phénomène biologique en soi marginal, mais qui s’avérera, je crois, porteur de quelques clés interprétatives utiles : il s’agit de la tératologie, ou science des « monstres ». Il me semble que dans le champ, tant sillonné qu’il en est épuisé, de la théorie de la métaphore, il demeure toujours de la place pour la glose — peut-être est-ce une des propriétés de celle-ci ! — et, surtout, qu’il ne faut pas résister au plaisir de la modélisation et de son partage, même en amateur. Texte écrit comme biologiste de formation (et poète), il n’a évidemment aucune prétention linguistique réelle et je prie par avance le lecteur de m’excuser quand il me verra me lancer avec une légèreté coupable, mais non sans gourmandise, dans l’exposé de théories que je ne maîtrise absolument pas. Malgré tout, j’espère que le caractère transversal et vulgarisateur pourra intéresser poètes et biologistes.

Après un rappel de notions, la pertinence d’un modèle embryogénétique de la sémantique est défendue. Puis les dimensions de la figure du monstre sont analysées dans la perspective d’une modélisation de la métaphore et, plus généralement, de l’image poétique comprise comme figure d’analogie. La structure de l’article repose principalement sur la dialectique de l’écart et du similaire, qui étaie à la fois la figure du monstre et les théories successives de la métaphore.

Plan

Trois définitions de la métaphore

Image, métaphore, comparaison : les figures d’analogie

Notions d’embryologie

Analogie entre l’ontogenèse de l’individu et l’ontogenèse du discours

Notions de tératologie

Modèle tératologique de la métaphore

La métaphore et le monstre : figures de l’écart, figures du semblable

Les monstres du quotidien

Ontologie de l’absence

Conclusion

Trois définitions de la métaphore

Le grammairien Dumarsais (1676-1756) classe la métaphore dans la famille des tropes, c’est-à-dire « des figures par lesquelles on fait prendre à un mot une signification qui n’est pas précisément la signification propre de ce mot » (Traité des tropes, 1730) ; ainsi, la métaphore est « une figure par laquelle on transporte, pour ainsi dire, la signification propre d’un mot à une autre signification qui ne lui convient qu’en vertu d’une comparaison qui est dans l’esprit ». Ces définitions fondent l’approche de la métaphore en rhétorique classique.

Le site du cnrtl (issu du Trésor de la langue française informatisé, désormais daté dans certains domaines) définit la métaphore comme une « figure d’expression par laquelle on désigne une entité conceptuelle au moyen d’un terme qui, en langue, en signifie une autre en vertu d’une analogie entre les deux entités rapprochées et finalement fondues ». Au premier degré, cette définition est limpide mais, sous presque chacun de ses termes, on trouve les cicatrices de débats mouvementés qui ont secoué les années 1970 à 1990. Bien que les termes comme « figure d’expression » ou « entité conceptuelle » et « fondues » soient employés, ce qui témoigne de la prise en compte de débats contemporains — la métaphore comprise dans un cadre linguistique comme prédicat (énoncé autonome créateur de sens) —, la définition reste marquée du sceau de la rhétorique classique car la métaphore y est médiée par un « terme », choisi parce qu’il désigne une « autre » chose : il s’agit toujours d’une figure nominale de substitution du sens (un trope). Le « mot pour un autre » de Lacan.

Comparons-la à une définition « avancée », celle de Jean-Baptiste Renault (dans sa thèse Théorie et esthétiques de la métaphore, 2013) qui définit la métaphore comme « le rapprochement de deux objets de pensée ou séries d’objets de pensée, établi dans un contexte donné, sur la base d’un rapport plus ou moins large de ressemblance, pour nouer entre ces objets de pensée, sur un mode prédicatif et dans une certaine intention de signification, des liens plus ou moins paradoxaux de correspondance. » De substitution de mot, de sens propre et de sens figuré, il n’est plus question mais de rapprochement d’objets de pensée, autrement dit de toute une gamme de faits linguistiques subjectifs mis en correspondance, selon une règle de similarité ou non, à but énonciatif (prédicat) et créatif (intention de signification). La notion de comparant et de comparé, bien que découlant du mode prédicatif (quelque chose qui est le sujet est « comparé à »), n’est pas explicitée, ce qui préserve la possibilité de relation d’échanges complexes entre les deux réseaux de sens rapprochés métaphoriquement.

De la vision nominale et ornementale de la rhétorique classique, les approches modernes ont fait émerger le caractère discursif, cognitif (comme fondement de notre rapport au monde) et praxématique (comme phénomène linguistique dynamique anthropologique de production et de partage de sens). Au fur et à mesure de la présentation du modèle tératologique proposé ici, certains de ces concepts seront précisés.

Métaphore in praesentia et métaphore in absentia

La métaphore in praesentia opère un rapprochement analogique entre deux réalités explicitement désignées dans le discours et réunies dans une relation de coprésence :
 « Votre âme est un paysage choisi. » (Verlaine).
 « Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage. » (Baudelaire).
 « Le lac, divin miroir. » (Alfred de Vigny).

La métaphore in absentia opère un rapprochement analogique entre une réalité explicitement désignée dans le discours et une autre qu’on attendrait dans le même contexte mais qui n’est pas nommée et doit être évoquée par le destinataire :
 « Cette faucille d’or dans le champ des étoiles. » (Hugo).
 « Nous fumons tous ici l’opium de la grande altitude. » (Michaux).

Image, métaphore, comparaison : les figures d’analogie

Aristote, Poétique, 1457 b, (trad. J. Hardy, Les Belles Lettres, 1985, p. 61) : « La métaphore est le transport à une chose d’un nom qui en désigne une autre, transport du genre à l’espèce, ou de l’espèce au genre, ou de l’espèce à l’espèce ou d’après le rapport d’analogie. […] J’entends par “rapport d’analogie” tous les cas où le second terme est au premier comme le quatrième au troisième, car le poète emploiera le quatrième au lieu du second et le second au lieu du quatrième ; et quelquefois aussi on ajoute le terme auquel se rapporte le mot remplacé par la métaphore. Pour m’expliquer par des exemples, il y a le même rapport entre la coupe et Dionysos qu’entre le bouclier et Arès ; le poète dira donc de la coupe qu’elle est “le bouclier de Dionysos” et du bouclier qu’il est “la coupe d’Arès”. »

Nous considérerons ci-après l’image poétique comme synonyme de métaphore au sens large, c’est-à-dire de l’ensemble des figures qui reposent sur ce rapport proportionnel d’analogie aristotélicien, répondant à la formulation : « A est à B ce que C est à D. » Peu ou prou, toutes les métaphores (au sens rhétorique strict) et toutes les comparaisons qualitatives (ou imagées, sensément poétiques) peuvent être reformulées selon ce type d’énoncés. Pour illustrer cette approche, nous reprenons les schémas dressés par Emilia Hilgert dans son article « L’analogie est-elle plus explicite que la métaphore ? » (2016). La formule analogique complète de départ est la suivante :

« La vieillesse (A) est à la vie (B) ce que le soir (C) est au jour (D). »

Selon les appellations communes, « vieillesse » est le thème (le comparé), « soir » est le phore (le comparant) et chacun est associé à un terme de référence, respectivement « vie » et « jour », formant un couple-thème et un couple-phore. Les effets d’occultation successive des quatre termes sont schématisés comme suit (cf. figure).

Jean-Baptiste Renault (2013) conclut : « Il faut donc considérer que rien ne sépare vraiment métaphore et comparaison, sinon une certaine syntaxe. Cela n’est pas sans effet, bien sûr, mais rien d’essentiel ne s’y joue, la distinction est superficielle. Il s’agit plutôt d’un continuum qui relie métaphore in absentia, métaphore in praesentia et les différentes formes de comparaisons. La preuve en est qu’on passe d’une figure à l’autre assez aisément. Seuls les mots qui segmentent le phénomène distinguent et délimitent les occurrences, finissent par nous faire croire le contraire. De ce point de vue, le terme d’image, dans son acception rhétorique contemporaine, est presque préférable : il souligne mieux cette unité. »

Un transfert de sens, vraiment ?

Dans un article lumineux, P.-Y. Raccah (2017) montre que le point de vue classique « les métaphores modifient le sens des mots, transformant ainsi un “sens propre” en un “sens figuré” » ne tient pas. Sa démonstration par l’absurde tient en l’énonciation d’un paradoxe :

1. Une métaphore modifie le sens de l’énoncé.
2. La métaphore est due à la présence d’un mot ou d’un syntagme particulier.
3. Ce mot ou ce syntagme n’a plus le sens qui lui permettait de modifier le sens de l’énoncé (puisqu’il a changé de sens, selon la conception classique).
4. (Conséquence de 3 mais négation de 1) Une métaphore ne modifie pas le sens de l’énoncé.

En effet, dans la métaphore classique « Max est un loup », si le mot « loup » ne renvoyait plus à l’animal, on ne pourrait pas comprendre à quoi Max ressemble ou comme quoi il se comporte dans certaines circonstances. Pour obtenir l’effet métaphorique, il est donc nécessaire que le mot loup continue à renvoyer au canidé. L’auteur explique le paradoxe par la confusion entre énoncé (d’un discours) et phrase (suite d’unités de langue) et, partant, entre « mots-de-discours » (qui porte un sens orienté cotextuellement par le discours) et « mots-de-phrase » (qui porte une signification, déterminée par la langue, pas par le contexte du discours ou le procédé stylistique). Ainsi, dans un énoncé métaphorique, ce sont des variations de sens de certains des « mots-de-discours » que l’on décèle, variations qui sont dues au procédé métaphorique et non pas causées par lui. Le « mot-de-phrase » quant à lui arrive avec sa signification inchangée sinon la métaphore tombe à plat (un loup doit rester un loup, comme dit le bûcheron à Marlaguette). P.-Y. Raccah souligne qu’il faut comprendre le style métaphorique comme un effort argumentatif pour imposer ou suggérer un point de vue surprenant. La métaphore ne repose pas selon lui sur « des instructions de construction du sens mais sur un jugement sur les points de vue [sur le discours] nécessaire à cette construction ».

Ce point nous intéresse car la métaphore du monstre métaphorique veut traduire cette notion de trouble, de surprise, de malaise, de révélation.

Notions d’embryologie

Dialectique de la morphogenèse génétique et de la morphogenèse biomécanique

Longtemps l’embryologie fut strictement descriptive, puis elle devint expérimentale mais toujours comme isolée des études de biochimie et d’expression génétique, domaine où les connaissances connurent des avancées à un rythme exponentiel dès les années 1970. Déjà Claude Bernard ressentait le besoin conceptuel de distinguer des forces physico-chimiques agissant sur la substance et des forces morphologiques agissant sur la forme des organismes : il fut longtemps difficile de penser les deux à la fois unitairement. Ce n’est que récemment, grâce à la découverte de la famille des gènes régulateurs du développement embryonnaire au milieu des années 1980 (les homéogènes, gènes fortement conservés mis en évidence dans tout le règne animal), que les phénomènes morphologiques et génétiques ont été peu à peu couplés dans une vision intégrative de l’ontogenèse. C’est-à-dire l’embryogenèse au sens strict (les toutes premières étapes du développement), l’organogenèse puis la croissance.

La vision moderne du développement embryonnaire prend en compte deux grands types de processus, enchâssés les uns dans les autres et se développant dans l’espace et le temps :

  • la réalisation d’un programme informationnel génique, découlant de l’expression du code génétique (l’ADN) : il déroule la morphogenèse biochimique et cellulaire ;
  • l’intégration de multiples informations positionnelles et contraintes mécaniques, qui résultent de deux phénomènes complémentaires de cohésion/tension tissulaire et de plasticité/motilité cellulaire.

Le système possède en outre des propriétés d’auto-organisation : l’information génétique linéaire portée par l’ADN s’exprime et se déploie dans le temps et dans un environnement tridimensionnel qu’elle organise peu à peu et dont les paramètres biomécaniques rétroagissent sur elle.

L’embryon est tout à la fois multiplication cellulaire (croissance), différenciation cellulaire (spécification des fonctions), migration cellulaire, formation de feuillets et de lignes de contraintes, orientation, symétrisation, création de plis, replis, invaginations, bourgeonnements, métamérisation, morts cellulaires programmées (telles celles des nappes de cellules qui initialement se trouvent entre nos doigts…).

De ce couple substance biochimique-biomécanique naît la dialectique propre au vivant : d’une part conservation remarquable de la forme tant au sein de l’espèce qu’au cours de la vie de l’individu et, d’autre part, phénomène dynamique de renouvellement continu de la substance.

Plan d’organisation

Le plan d’organisation (polarité et définition des axes de symétries, segmentation du corps, nombre et positions des appendices) d’un embranchement du règne animal est fondateur de cet embranchement. Pour exemple, comparons le plan d’organisation des arthropodes (insectes, crustacés…) et des vertébrés tétrapodes (amphibiens, rongeurs, hommes…).

Les points communs à leur plan d’organisation sont :

  • symétrie bilatérale à deux axes : antéro-postérieur et dorso-ventral ;
  • métamérisation (les métamères sont les modules qui se répètent le long du corps, porteurs d’appendices).

Les différences :

  • la métamérisation est forte chez les arthropodes (comme la crevette aux cinq paires de pattes et à la carapace segmentée), bien moindre chez les tétrapodes (nos ceintures scapulaire où s’attachent nos bras et pelvienne où s’attachent nos jambes sont homologues l’une de l’autre et définissent nos deux métamères les plus évidents, mais une métamérisation plus fine existe également, telle celle de la colonne vertébrale articulée en trente-trois vertèbres et le système nerveux périphérique qui en émane) ;
  • le système nerveux des arthropodes est ventral, celui des vertébrés est dorsal ;
  • les vertébrés ont un cœur en position antérieure ;
  • le squelette des arthropodes est externe (cuticule), celui des vertébrés est interne (ossature).

Le plan d’organisation est génétiquement déterminé : des mutations de l’ADN le perturbent à des degrés divers et selon des modalités variées — par exemple : des pattes à la place des antennes chez un mutant de la petite mouche drosophile, phénomène qui fut à l’origine de l’isolement du tout premier homéogène, dénommé Antennapedia de ce fait, impliqué dans le développement embryonnaire (cf. figure).

Gradients morphogénétiques au sein de l’embryon

Les gènes impliqués dans la mise en place du plan d’organisation sont exprimés très précocement sous la forme de gradients le long des axes de symétrie de l’embryon. La combinatoire de ces profils d’expression détermine localement le devenir morphologique du segment (cf. figure, montrant l’expression successive des gènes du développement chez la mouche drosophile).

Premiers éléments de tératologie : les anomalies du plan d’organisation

Les mutations génétiques ou phénomènes toxiques qui altèrent la mise en place de ce plan d’organisation ont donc des impacts sur la morphologie. Ils peuvent être majeurs (« monstres doubles ») ou plus discrets (simple doigt surnuméraire). Les phénomènes peuvent être classés grossièrement en deux groupes principaux : par « manque » chez les monstres unitaires (défaut de symétrisation : cyclopie, membres manquants) ou par « excès » chez les monstres doubles (duplications chez les veaux à deux têtes, moutons à cinq pattes, etc.).

Chez l’homme, les malformations congénitales constituent une cause majeure de mortalité infantile et de handicap sévère. Environ 10 % des malformations humaines connues sont dues à des facteurs exogènes (infections de la mère comme la rubéole, toxiques absorbés pendant la grossesse…), 10 % sont dues à des facteurs génétiques et chromosomiques (mutations de novo congénitales non héréditaires), les 80 % restants étant dus probablement à l’interaction de plusieurs facteurs génétiques et exogènes (wikipedia).

Analogie entre l’ontogenèse de l’individu et l’ontogenèse du discours

A split graph showing the results of NeighborNet analyses of the Indo-European lexical data.
Gray RD, Bryant D, Greenhill SJ. On the shape and fabric of human history. Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci, 2010;365(1559):3923-33.

Métaphoriser la langue par le vivant est chose classique au XIXe siècle. Darwin théorisait une similarité de fonctionnement entre l’évolution des êtres vivants et celle des langues (1871). Selon August Schleicher (1821-1868), la langue est un organisme vivant qui naît, vit et meurt, qui est soumis à des lois causales. Les limites et dérives de l’assimilation vitaliste de la langue à un organisme sont patentes : dogmes racialistes des origines, hygiénisme de la « langue en danger », pensées développées notamment dans le cadre du naturalisme romantique.

Plus proches de nous — outre, bien sûr, les travaux sur l’origine du langage dans la lignée des hominidés et l’entrée des neurosciences dans le champ des langues (l’encéphale comme substrat organique du phénomène neurolinguistique) —, des modélisations en linguistique à partir de phénomènes biologiques ou de théories du champ des sciences de la nature sont fécondes, dans le cadre de ce qu’on peut appeler un « naturalisme méthodologique », notamment :

  • la construction d’arbres phylogénétiques des langues selon les principes de celle des arbres phylogénétiques du vivant (cf. figures: diagramme scientifique ci-contre et vue d’artiste ci-dessous) ;
  • les représentations arborescentes de la syntaxe (cf. figure) ;
  • les phénomènes d’ontogenèse du mot, de la phrase, du discours.
« Language tree » par l’artiste Minna Sundberg.
Exemple d’arbre syntaxique.

Abordons plus en détail deux auteurs français qui ont appuyé leur théorie du langage sur la biologie, l’un principalement par transfert de vocabulaire : Gustave Guillaume (1883-1960) ; l’autre de manière plus systémique et originale : René Thom (1923-2002).

Ontogenèse du mot selon Gustave Guillaume

Gustave Guillaume, théoricien d’une « psychomécanique du langage », s’intéresse au temps psychologique de la naissance du sens (étape cognitive, dirait-on aujourd’hui), depuis l’idée du mot jusqu’à sa détermination grammaticale et l’attribution de sa fonction discursive : son ontogenèse (d’ontos « être » et de genesê, « génération, naissance »). Ce temps opératif et dynamique mentalisé se situe donc avant l’énoncé du discours.

Il décrit deux temps, deux phases tensives qui s’enchaînent. C’est le concept de « tenseur binaire radical » :

  • l’idéogenèse (lexicale) : une tension particularisante qui, à partir de la substance idéogène, vaste et abstraite, du lexique en puissance, prédétermine le mot, l’individualise grâce à la mémoire procédurale lexicale (expérientielle) du locuteur. Dans ce temps particularisant de condensation, la forme idoine est « saisie » (c’est le discernement) ;
  • la morphogenèse (grammaticale) : une tension généralisante qui attribue une des fonctions fondamentales syntaxiques au mot et l’insère localement dans la phrase selon les contraintes générales syntaxiques partagées : verbe, préposition, nom commun…

La phrase n’est pas un objet d’origine mentale innée (telle qu’elle l’est dans la grammaire générative de Chomsky) mais est le résultat d’une ontogenèse subjective reposant sur des modèles mentaux issus de l’expérience du locuteur.

En ce sens, la création de la forme-phrase (morphogenèse grammaticale) à partir d’un corpus informationnel (une matière lexicale pré-ordonnée par des schèmes fondamentaux) où condense le mot est proprement morphogénétique.

Interprétation ontogénétique du modèle du tenseur binaire radical de Gustave Guillaume.
L’embryogenèse est comprise ici dans son sens strict, c’est-à-dire incluant seulement les premières étapes de l’ontogenèse, de la segmentation de l’oeuf jusqu’à la gastrulation et la mise en place des trois feuillets fondamentaux. Elle est suivie de l’organogenèse.

Malgré le caractère abstrait du tenseur binaire radical comme processus mental fondamental en action dans toute opération linguistique individuelle, il est tentant (au-delà de la séduction due à la proximité du vocabulaire) de dresser une analogie avec le processus d’ontogenèse animal (disons de l’homme), qui est également un processus dynamique de transformation de la substance (biochimique et cellulaire) en formes (tissus et organes) où interactions locales et influences topologiques jouent un rôle important dans le cadre d’un code programmatique (génétique).

Le modèle guillaumien bitensif peut, par exemple, documenter la distinction nette entre, d’une part, segmentation pré-morphogénétique et établissement des territoires présomptifs (gastrulation) [particularisation], et, d’autre part l’organogenèse (morphogenèse proprement dite, croissance) [déploiement].

Symétriquement, la compréhension moderne de l’embryologie, qui met l’accent — outre l’expression hiérarchisée dans le temps et l’espace des gènes du développement — sur les phénomènes de contraintes physiques dynamiques locales (tension, adhérence versus motilité cellulaire) dans l’intégration de l’information positionnelle et la morphogenèse, peut inspirer la recherche de propriétés fondamentales grammaticales locales hors code et signe, qui étayeraient localement la morphogenèse du discours — rapprochant la psychomécanique guillaumienne (expérientielle et subjective) de la grammaire générative de Chomsky (innée et universelle).

Nous verrons plus bas en quoi le modèle du tenseur binaire radical peut nous aider à dresser le modèle tératologique de la métaphore.

Morphodynamique de René Thom

René Thom fut un penseur original dont les préoccupations étaient foncièrement transversales : mathématicien brillant (il fut médaille Fileds et a fondé la théorie mathématique des catastrophes), il s’est appliqué à modéliser les phénomènes biologiques complexes et la linguistique ; plus généralement, bien qu’un peu marginalisé ou oublié, il fut un acteur majeur de la philosophie épistémologique. La présentation que je fais ci-dessous de son concept clé de morphodynamique sera tristement simpliste car je ne saurais rendre compte correctement de sa pensée…

Sa première échappée hors le domaine des mathématiques fut consacrée à la fabrication de concepts explicatifs de l’embryogenèse, domaine où il fondera sa morphodynamique, qui a pour objet le lien entre substance (continue) et forme (discontinue, c’est-à-dire discrète au sens mathématique), enjeu clé du phénomène de l’ontogenèse. Plus tard, ses recherches en linguistique où le modèle de la morphodynamique s’avérera fécond, créeront, par transitivité, un pont conceptuel, une continuité formelle, entre l’ontogenèse embryonnaire et la sémiotique. La sémiophysique de Thom réside dans la synthèse entre un espace continu et un processus qui crée des frontières (par surgissement de points dits de catastrophes, selon la théorie du même nom) et fait apparaître le discontinu dans le continu.

Il est souvent écrit que ces concepts novateurs ont participé à la réactualisation de l’hylémorphisme aristotélicien, doctrine tombée dans l’oubli selon laquelle l’être est constitué, dans sa nature, de deux principes complémentaires, la matière et la forme.

Faire du discontinu avec du continu : théorie des catastrophes

Le langage (écrit notamment) s’affiche comme une chaîne d’éléments discontinus (les lettres, les mots, les phrases). Pourtant la matière fondamentale perçue, pensée (processus cognitifs) et émise de laquelle est forgé le mot est de nature continue (les linguistes parlent du continuum acoustico-vocalique de la phonation). De la même manière, du continuum de la substance biochimique issue de l’expression des gènes naît la forme tridimensionnelle et complexe de l’embryon.

Les événements transitionnels entre substance et forme, entre continuité et discontinuité sont donc fondamentaux. Ces phénomènes sont justement l’objet de la théorie mathématique des catastrophes de René Thom (1972). Une « catastrophe » peut être définie simplement comme le lieu où une fonction mathématique change brusquement de forme : « L’essence de la théorie des catastrophes c’est de ramener les discontinuités apparentes à la manifestation d’une évolution lente sous-jacente. » (Thom, 1991). Ces courbes topologiques possèdent des « singularités », lieu de la précipitation d’un changement brusque, d’une discontinuité. Thom a réduit la topologie de ces singularités à sept cas (cf. figure). Leur caractère fondamental laisse envisager que ces schémas, en petits nombres, puissent être à l’origine des phénomènes de transition dans de nombreux domaines (biologie, géologie, hydrodynamique, mécanique…).

Les types de catastrophes élémentaires selon René Thom (schémas de B. Virole).

Schèmes archétypaux

En linguistique, Thom a émis l’hypothèse de schèmes cognitifs fondamentaux qui établissent le lien topologique entre nos perceptions des événements naturels dans la structure du réel (les « saillances ») et la structure du langage les désignant. Cette morphodynamique « découpe » la syntaxe discontinue au cœur de la matière lexicale continue à partir d’un nombre limité de topologies simples, mentalisées, sélectionnées lors de l’acquisition du langage chez l’humain.

Gradients morphogéniques embryonnaires et schèmes archétypaux

Comme on l’a vu rapidement dans les rappels d’embryologie, la production des protéines morphogènes par les homéogènes sélecteurs du développement établit des gradients de concentration le long de l’axe antéro-postérieur qui, par leur combinatoire, vont localement commander la mise en route du programme génétique et morphologique de tel ou tel appendice, tel ou tel organe interne (phénomène d’induction).

La figure ci-après (panneau A) montre comment un tel gradient issu d’une cellule d’un feuillet embryonnaire peut localement faire se déployer une discontinuité dans un feuillet adjacent dont les cellules possèdent (de manière différentielle) les récepteurs à la substance morphogène : la machinerie cellulaire répond à ce stimulus local, ici par un phénomène de constriction du pôle apical des cellules réceptrices, qui est l’événement premier d’un bourgeonnement localisé au sein du feuillet.

Dans le panneau B, l’analogie est dressée avec le concept morphodynamique linguistique de Thom, schématisé pour le cas du schème archétypal triangulaire « X mange Y ».

Le concept commun est celui de champ morphogénétique (polarisation de l’espace créatrice de forme).

Deux domaines d’action d’un champ morphogénétique.
A.
Lors de l’embryogenèse. B. Dans l’application de la théorie morphodynamique de René Thom en linguistique.

Notions de tératologie

« Geoffroy Saint-Hilaire est un grand artiste
du pliage, un formidable artiste. »
(G. Deleuze, F. Guattari, Mille plateaux)

Bref historique

Dans l’article « Monstruosité et transversalité. Figures contemporaines du monstrueux » (2010) de Jean Foucart, on lit que l’art pariétal comporte des figurations de monstres, mises en évidence par le préhistorien André Leroi-Gourhan (1966) : « être cornu, homme dont la tête est remplacée par une queue de bison, personnages à tête animale ou sans tête ». Les malformations découvertes à la naissance sont documentées depuis des temps reculées : les tablettes de Ninive, qui datent de 2 000 ans avant notre ère, en consignent une soixantaine de types et elles auraient fait l’objet d’interprétations divinatoires (wikipedia).

Le mot « monstre » indique à la fois la monstration (« montrer », monstrare), l’avertissement (« avertir », monere) et le « prodige » ou le « présage » (monstrum, dans le cadre des augures romains).

Les représentations collectives, les comportements sociaux face aux monstres sont variés et mouvants au fil des siècles et selon les sociétés (pour un panorama exhaustif, voir Le Monstre, la vie, l’écart, de Bertrand Nouailles, 2017). Fondamentalement il est le contre-nature, l’exclu de l’ordre naturel, jusqu’au XIXe siècle où un tournant épistémique majeur bouscule son statut scientifique et philosophique. Les deux principaux acteurs de cette évolution sont Goethe (1749-1832) et l’anatomiste Étienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844). Leurs réflexions naissent dans la continuation des Lumières — Diderot avait écrit un siècle plus tôt : « L’homme n’est qu’un effet commun, le monstre qu’un effet rare ; tous les deux également naturels, également nécessaires, également dans l’ordre universel et général. » (Le rêve de d’Alembert, 1769).

Étienne Geoffroy Saint-Hilaire est le premier à mettre en évidence le caractère d’homologie entre les espèces au sein d’un plan d’organisation des animaux (voir supra le Rappel d’embryologie). Il définit l’« unité de composition organique », une idée proche de l’« unité de type » de Goethe. C’est dans ce cadre unitaire que Geoffroy Saint-Hilaire intègre son étude des monstres (le terme tératologie sera créé plus tard par son fils Isidore) : « Je n’admets pas plus de physiologie spéciale pour des cas d’organisation vicieuse que de physique particulière au profit de quelques faits isolés et laissés sans explication. Il y a monstruosité, mais non pas pour cela dérogation aux lois ordinaires ; et il le faut bien, s’il n’y a à embrasser dans ses considérations que des matériaux toujours similaires dans leurs différents degrés de superposition, et que des actions toujours également dépendantes des propriétés de la matière. » Le monstre quitte la sphère des croyances surnaturelles et devient objet de science, à la physiologie et l’anatomie partagées avec le « normal » — ou plutôt le nomal [sans r], la norme statistique. Geoffroy Saint-Hilaire observe tôt que des types génériques d’anomalies sont retrouvés, fondement de sa classification tératologique et dont il déduit que des règles de formation sont à l’œuvre : « À la place de l’organisation prédestinée, d’un arrangement conforme au type normal, c’est un autre ordre de régularités. » Ou encore : « L’étude des monstres ne peut se concevoir que lorsque l’on en cherche les causes dans les lois de l’organogenèse. » (cité par Duhamel, 1972). Son fils Isidore publiera en trois volumes, entre 1832 et 1836, son Histoire générale et particulière des anomalies de l’organisation chez l’homme et les animaux ou Traité de tératologie (cf. figure).

Geoffroy Saint-Hilaire, Isidore. Histoire générale et particulière des anomalies de l’organisation chez l’homme et les animaux, ouvrage comprenant des recherches sur les caractères, la classification, l’influence physiologique et pathologique, les rapports généraux, les lois et les causes des monstruosités, des variétés et vices de conformation, ou traité de tératologie, 1837.

Le monstre comme écart à la norme

De cette approche rationnelle et naturaliste naît la définition de la monstruosité : « Elle appartient à l’ensemble des anomalies, un être étant anomal lorsqu’il ne correspond plus de près ou de loin au type spécifique de l’espèce dont il est issu. Ce type spécifique désigne l’ensemble des caractères dominants dans chaque espèce. Une monstruosité est une anomalie complexe manifestant un écart important par rapport à ces caractères dominants. » (Ancet, 2008).

Bien évidemment, l’approche rationnelle de la tératologie n’a pas éteint les sentiments d’inquiétude, de défiance, de peur ou d’attirance fascinée devant la figure du monstre.

Canguilhem (1966) écrit : « Le monstre, c’est le vivant de valeur négative » et : « Le monstre n’est pas seulement un vivant de valeur diminuée, c’est un vivant dont la valeur sert de repoussoir. » Jean Foucart analyse : « Face au monstrueux, une crainte radicale s’empare de nous. Soit pour la crainte, dira-t-on. Mais pourquoi radicale ? Parce que nous sommes des vivants, effets réels des lois de la vie, causes éventuelles de vie à notre tour. Un échec de la vie nous concerne deux fois, car un échec aurait pu nous atteindre et un échec pourrait venir par nous. C’est seulement parce que, hommes, nous sommes des vivants qu’un raté morphologique est à nos yeux une monstruosité. »

Dans ce qui suit, nous verrons que c’est cette double tension proximité/altérité (le monstre dans l’ordre naturel, le monstre autre radical) toujours à l’œuvre dans la figure du monstre, qui en fait un thème de réflexion possible dans l’analyse des images poétiques, des métaphores, telles qu’elles naissent et sont reçues.

Modèle tératologique de la métaphore

Analogie et « monstre double »

Nous appuyant sur le modèle du « tenseur binaire radical » guillaumien (cf. supra), nous posons l’analogie suivante.

La figure d’analogie, rapprochement de deux objets de pensée, peut être modélisée par la figure du « monstre double ».

Le phénomène tératologique de dédoublement d’une partie du corps est une anomalie majeure du plan d’organisation des vertébrés qui prend place tôt dans le processus d’ontogenèse — il est en général interprété comme la fusion secondaire de  jumeaux vrais ou un échec de la partition à un stade précoce du processus qui aurait dû aboutir au développement de jumeaux vrais ou à un clivage trop tardif de l’embryon (qui n’est pas capable de générer des jumeaux vrais séparés). La figure du « double » se décline sous la forme d’un continuum morphologique entre deux pôles :

  • dédoublement isolé d’un organe : typiquement la polydactylie, qui est un phénomène fréquent ;
  • dédoublement-fusion avec une part plus ou moins étendue du corps et des organes en commun : jumeaux conjoints (siamois, « monstres doubles » dits en « Y », telles les siamoises Rita et Cristina évoquées en introduction).

Les jumeaux conjoints présentent une symétrie : organes partagés uniques, organes différents disposés en miroir de part et d’autre de l’axe de fusion.

Le dédoublement complet correspond à la gémellité vraie (monozygote, issue d’un seul œuf). Les vrais jumeaux sont ontogénétiquement un dédoublement résolu (cf. encadré et figure ci-contre).

Grossesses gémellaires homozygotes

– Date de clivage avant 4 jours : il s’agit d’une grossesse bichoriale (deux placentas) et bi-aminotique (deux poches amniotiques) : un tiers des grossesses monozygotes.

– Date de clivage entre 4 et 8 jours : il s’agit d’une grossesse monochoriale (un placenta pour les deux fœtus) et bi-amniotique (deux poches amniotiques) : deux tiers des grossesses monozygotes.

– Date de clivage entre 8 et 12 jours : il s’agit d’une grossesse monochoriale (un placenta) et mono-amniotique (une poche amniotique) : grossesse gémellaire appelée « mono-mono », exceptionnelle (moins de 1 % des grossesses monozygotes).

– Date de clivage après 12 jours (pendant la gastrulation et au-delà) : il s’agit de jumeaux conjoints (dits siamois), ce qui correspond à une sur 90 000 grossesses.

Dans le cadre de l’ontogenèse en linguistique envisagée ici, le modèle implique (cf. figure ci-dessous) :

  • un dédoublement de deux réseaux sémiques à une étape précoce de la morphogenèse de la phrase, à la fin de l’idéogenèse ou juste après, lors de l’attribution sémique et des fonctions syntaxiques, avant l’énoncé ;
  • une non-séparation : les deux réseaux sémiques coexistent dans un seul et même énoncé ;
  • l’émergence d’un énoncé insolite.
Le modèle tératologique de la métaphore.
Monstres doubles bicéphales.

Ces deux objets de pensée sont donc analogons formant une entité à la fois marquée par le dédoublement (duplication du plan d’organisation et figure spéculaire de l’altérité) et la similarité (entre eux deux et entre eux et nous).

Au premier degré, les deux analogons symbolisent les deux termes de la figure d’analogie aristotélicienne, considérés comme descripteurs de l’image poétique, figure métaphorique au sens large (métaphore au sens strict, comparaison qualitative). Soulignons que le modèle, s’il est bipartite, n’est pas réduit à la seule métaphore in praesentia. Il symbolise la construction métaphorique en tant que processus à l’œuvre dans son ontogenèse. Une métaphore in absentia, où seul le comparant est dans la phrase et pas le comparé, repose sur un mécanisme de formation identique à la métaphore in praesentia.

Nous utilisons comme illustration le poème Spleen de Charles Baudelaire où, parmi d’autres secondaires, sont filées deux métaphores majeures, une in praesentia, l’autre in absentia (cf. figure). On notera (en rouge) les deux types d’interprétations possibles : dans un cas l’identification d’un « tiers commun », ou motif métaphorique (la claustration), dans l’autre celle du comparé virtuel (la mère abusive).

Spleen

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l’Espérance, comme une chauve-souris,
S’en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D’une vaste prison imite les barreaux,
Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

— Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir,
Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Déclinaison

« Vrais jumeaux » métonymiques ?

La question de la nature des énoncés doubles autonomisés, « vrais jumeaux », se pose ici. Il n’y a pas de sentiment d’étrangeté : le plan d’organisation est respecté, deux fois, indépendamment. En utilisant les termes de Roman Jakobson, on pourrait avancer qu’a contrario de la relation interne métaphorique, la relation sémique (relative au sens) est ici externalisée, relevant d’une contiguïté de sens non fusionnée : métonymique.

La métonymie exemplative « Boire un verre » s’interpréterait ainsi : le contenu et le contenant sont les jumeaux issus de l’œuf unique idéique porteur du sens « boire une boisson contenue dans un verre ». Chacun est autonomisé en tant que descripteur d’un objet du monde : respectivement « verre » et « boisson ». Leur appartenance à un même champ sémantique, leur contiguïté (gémellité non fusionnée), permet la métonymie : « boire un verre » pour « boire la boisson contenue dans le verre ».

« Monstres parasites » : la métaphore usée, morte

Le monstre parasitaire est un jumeau fusionné réduit à une expression minimale, telle qu’une partie de corps. À son plus réduit, on pourrait citer le cas, fréquent, de la polydactylie (doigt surnuméraire). Le modèle tératologique et ontogénétique suggère que ce type d’anomalie discrète (qui reste un monstre double dans sa plus simple expression d’un jumeau « oublié ») pourrait figurer les cas de métaphores usées : « quel âne ! », « dire sa flamme », « discussion orageuse »… La qualité figurative et poétique n’est plus ou est peu ressentie. Même usée, une métaphore peut toujours trouver un contexte où elle sera « réanimée » — comme celles de cette liste par le simple fait de les énumérer en rappelant leur origine métaphorique… Ce petit doigt surnuméraire, ce jumeau absent qui ne naît pas au discours, on ne le voit pas ou plus. Puis, un jour, il peut frapper le regard de quelqu’un.

On en rapprochera les métaphores « mortes », définitivement enterrées lorsqu’elles font l’objet d’une entrée dans les dictionnaires sans que le comparant ne soit mentionné : d’où l’appellation de « métaphores lexicalisée » : « tête » (de testa, « vase de terre cuite »), « claquer la porte », « le temps s’écoule », « monstre sacré », « casser les pieds », « bretelle d’autoroute », « paysage audiovisuel »…

Le distinguo entre métaphore morte, métaphore usée et catachrèse apparaîtra mince. Les catachrèses, autres modes de lexicalisation, font l’objet d’un paragraphe à part (cf. infra).

Les monstres parmi nous : les clichés

Dans une perspective évolutionniste, on peut avancer que la spéciation (apparition d’une espèce nouvelle), qui se fonde sur l’émergence et l’essor d’une innovation au sein d’une population (par sélection naturelle et/ou isolement) a pour point de départ une « monstruosité », une mutation ou des mutations (les exemples sont légion, y compris en termes de plan d’organisation). Le monstre rentre dans la norme. La métaphore est toujours là mais elle a été trop vue. L’insolite n’est plus au rendez-vous : « les perles de rosée », « l’astre de mes nuits »…

Cyclopes et autres monstres coalescents

Syrénomélie (fusion des membres inférieurs en un seul membre), cyclopie, etc. sont particuliers en cela qu’ils sont possiblement à l’origine des figures monstrueuses mythologiques de la sirène et du cyclope. Il serait erroné d’y voir une analogie avec la métaphore in absentia ou la catachrèse (« le pied de table », métaphore éteinte créée faute de mot pour décrire la chose, cf. infra) car, même si celles-ci sont marquées par l’absence d’un terme (les comparés), elles demeurent des figures de dédoublement (virtuel). Le monstre fusionnel si l’on veut filer la métaphore médico-linguistique relève plutôt des troubles aphasiques sémantiques ou d’amalgames lexicaux, fréquemment associés à une incompréhension par l’interlocuteur.

Ce que le modèle tératologique est et ce qu’il n’est pas

Une aberration ?

Le monstre n’est pas une aberration hors le vivant. Et le monstre métaphorique n’est pas hors le langage, inaccessible à la compréhension. Le monstre, anomalie de développement, écart à la nomalité du vivant, n’en demeure pas moins un autre nous-même en ce qu’il suit les règles du développement embryonnaire, de la physiologie… La métaphore, si elle est écart sémantique à la normalité du discours, est une cohérence syntaxique, même dans sa forme maximale de l’image surréaliste.

Une dialectique

Les deux analogons symbolisent plus que les deux pôles de la figure d’analogie aristotélicienne. Ils symbolisent la construction dynamique de la métaphore en tant que processus à l’œuvre. Ils ne sont pas des représentations topologiques des classiques couples comparant/comparé, thème/phore, véhicule/teneur, sens propre/sens figuré. En effet, ces deux analogons se déploient tout en restant fusionnés, ce qui fait d’eux un monstre double et non deux jumeaux indépendants. Ils symbolisent donc le double mouvement cognitif de fusion/scission ou encore d’interaction/éloignement, qui nous semble être pertinent pour décrire la genèse de la métaphore vive.

Thème, phore, motif

Perelman et Olbretchts-Tyteca (2008) distinguent dans une métaphore trois éléments :

1. le thème, ou comparé, qui est le sujet dont on parle ;

2. le phore (« porteur » en grec), ou comparant, qui est le terme mis en relation avec ce sujet ;

3. le motif, qui est l’élément ressemblant sur la base duquel les deux premiers sont liés et qui constitue le trait qui fait l’objet du transfert de sens.

Thème et phore sont explicites (dans la métaphore in praesentia), tandis que le motif est implicite, décodé par le lecteur par le contexte culturel et symbolique et par le cotexte (le reste de la phrase, le reste du discours).

Un prédicat

Ce double déploiement ne représente pas non plus « l’échangeur » de deux mots, il est le processus dans sa complexité, complexité qui veut rendre compte de la nature discursive de la métaphore et non seulement tropique (le « mot pour un autre ») : elle est un énoncé, un prédicat — issu d’un seul et même œuf pourrions-nous ajouter. Citons Jean-Baptiste Renault : « Pour achever de se déprendre de la “dictature du mot”, de la conception de la métaphore comme substitution, comme “transfert”, il faut en revenir à sa forme grammaticale et indiquer, comme le fait Ricœur, que la métaphore est avant tout un énoncé, une phrase, qu’elle repose sur une prédication. La nature même de la métaphore est d’associer un sujet et un attribut. La conception de la métaphore comme mot n’est pas fausse, à proprement parler, mais c’est un cas particulier, un effet produit par une certaine énonciation métaphorique. »

Deux réseaux sémiques

Les deux analogons ne sont pas les « sens propre » et « sens figuré ». Cette notion découle de la théorie de la substitution du mot. La signification du comparant, son « sens propre », disparaîtrait en quelque sorte par l’influence du comparé, et ce nouveau « signifiant » comparant, dénudé, porterait un nouveau sens « figuré » restreint par le comparé. Or, on a vu plus haut que si le « loup » perd son sens de canidé cruel (et tout l’univers sémantique associé, son « sens propre »), la métaphore « L’homme est un loup » ne peut fonctionner. La métaphore est bien la confrontation de deux « sens propres », de deux réseaux sémiques complets et complexes. L’auteur aura provoqué ce rapprochement par une visée qui lui est personnelle, choisi sans doute une correspondance majeure parmi toutes les correspondances possibles entre ces deux réseaux travaillés par lui, plus ou moins évidente pour le lecteur, qui est amené à interpréter ce rapprochement pour en déterminer le motif voire y trouver des valences que l’auteur n’aura pas envisagées, car telle est la richesse, l’épaisseur métaphorique. Dans le modèle tératologique, les deux analogons, représentation des réseaux sémiques rapprochés, ont des valeurs ontologiques équivalentes : ils sont plutôt ces deux « sens propres » rapprochés, si l’on tient à utiliser la notion.

Souvent, dans la théorie de la substitution, ce « sens figuré » du comparant restreint sous l’influence du comparé est considéré comme une simple connotation imposée par l’auteur — souvent émotionnelle, affective, qui résumerait l’action poétique… — ajoutée à la dénotation de la phrase.

Cette conception d’une image surimposée qui oriente l’interprétation, est appauvrissante, comme le montre Jean-Baptiste Renault dans son analyse fine de la métaphore shakespearienne « Juliette est le soleil » : « Tout le malheur vient de ce qu’on étudie éternellement la métaphore hors contexte (…) et qu’on imagine que le mot “soleil”, par exemple, est affecté dans sa signification, sous prétexte que la métaphore voudrait dire “Juliette est une source de joie” ou “est d’une beauté éblouissante”, autrement dit sous le prétexte que l’on peut, avec la même syntaxe de phrase, substituer au comparant une signification, un motif qui “éclairerait”. (…) Dans la phrase de Roméo et Juliette, “soleil” n’est en rien affecté (…), il ne change pas davantage de sens que dans l’énoncé “Juliette produit sur moi l’effet que le Soleil produit sur la Terre” ou, pour tenir compte du contexte de la pièce, “Juliette fait disparaître de mon cœur Rosaline comme le Soleil éclipse la Lune et les étoiles” ou encore “Juliette est dans ses appartements, elle apparaît à sa fenêtre, comme le Soleil a l’aube s’apprête à nous éclairer et ne perce encore que timidement”. »

Dénotation et connotation

La dénotation (ou sèmes inhérents) est le ou les sens objectifs d’un mot, hors contexte : ce sont les sens inscrits au dictionnaire, appelé aussi sens littéral. La connotation (ou sèmes afférents) est un sens donné au mot qui implique une valeur culturelle ou morale relevant de l’expérience ou des références communes sur les plans historique, géographique, social, politique, artistique des personnes… Ces valeurs connotées ne sont pas des signes : latentes, elles sont noyées dans la trame textuelle qui porte le discours continu de la dénotation, mais ne sont pas moins prégnantes. Par exemple : le mot rouge dénote une couleur et connote la rage, le sang, la révolte, l’amour…, selon le cotexte, le contexte, selon la personne qui parle, celle qui écoute, leurs groupes sociaux, l’époque, la civilisation, etc.

La métaphore du monstre double métaphorique porte en elle cette épaisseur, ces possibles de l’interprétation, cette chair dédoublée qui fonctionne de conserve (par ses organes communs, par ses organes séparés), sur un mode contextuel puisque non disjoint.

Surprise et résolution

Luce Fontaine-De Visscher écrit (1979) : « Si la métaphore est, indéniablement, au niveau du système de signes, substitution productrice d’écart, cet écart n’est qu’un arrêt, un suspens, un détour provisoire, en attendant de réduire l’écart et de percevoir la ressemblance. La métaphore “fait voir le semblable”, selon l’expression d’Aristote. L’écart n’existe que pour être réduit : au niveau sémantique, la métaphore devient le mouvement des termes qui cherchent à se rapprocher. »

Le monstre s’appréhende selon deux modes : il choque, surprend, et nous intime de penser notre émotion pour la résoudre.

Rupture d’isotopie et rupture du plan d’organisation

Greimas (1970) définit l’isotopie sémantique comme « un ensemble redondant de catégories sémantiques qui rend possible la lecture uniforme du discours ». Plusieurs isotopies peuvent coexister dans un même texte, comme des plans sémiques enlacés et distincts. La métaphore introduirait dans un énoncé un terme étranger à l’isotopie dénotée [le sens littéral de la phrase]. Cette rupture d’isotopie est une expression possible de la notion d’écart dans la métaphore.

Il est tentant, dans une analogie topologique, de considérer les plans isotopiques comme des feuillets embryonnaires, ou plus simplement qu’une isotopie est homologue à un plan d’organisation donné. La rupture d’isotopie serait alors l’anomalie de plan d’organisation qui caractérise le monstre.

Allant dans ce sens, on note que pour M. Le Guern (1973), ce qui distingue la métaphore de la métonymie est cette notion de rupture de l’isotopie : la métaphore modifie l’organisation des sèmes, tandis que la métonymie ne modifie pas les sèmes, mais seulement la référence. Or nous avons estimé que les jumeaux vrais, autonomes, étaient à l’image de la métonymie : sans rupture de plan d’organisation.

Jean-Baptiste Renault tempère toutefois l’intérêt de la notion d’isotopie, notant que des métaphores peuvent fonctionner par rapprochement de termes d’une même isotopie : « La rupture d’isotopie ne joue qu’un rôle très secondaire. Ce qui est décisif, dans une métaphore ou une comparaison, quelles que soient leurs formes, c’est que le lecteur ou le spectateur perçoive la volonté de prédication. C’est cette dernière qui, associant un signe à un autre, dans un syntagme déterminé, conduit à une interprétation nouvelle : que les signes appartiennent à des univers de discours proches ou non est presque indifférent. » Pour lui, l’isotopie n’est qu’un indice parmi d’autres de l’« impertinence » introduite par la métaphore (formule de Jean Cohen). Il le montre en analysant un ver de Nerval : Un papillon dans un champ. Fleur agitée par le vent. « Quelle rupture d’isotopie décèlerons-nous ? Fleurs et papillon animent une prairie, font partie de la même isotopie : la deuxième phrase peut être interprétée comme une simple précision apportée à la description du champ. Seuls le singulier, l’absence de déterminant avant « fleur » et l’absence de verbes invitent éventuellement à une interprétation métaphorique : elle n’est pourtant nullement obligatoire, seulement encouragée par une intention de l’auteur, perçue (ou non) par le lecteur. Le critère de l’isotopie ne joue donc pas de rôle majeur ici non plus. L’élément décisif, c’est la brièveté du texte, comme dans un haïku : si le lecteur s’étonne de n’avoir pas perçu un grand intérêt à lire les deux phrases, il va chercher un autre sens, émettre des hypothèses quant à l’intention qui a motivé l’écriture de ces lignes. »

On pourra toutefois noter que papillon et fleur courent sur les deux isotopies distinctes « animal » et « végétal » — une connotation à laquelle j’ai été plus sensible comme biologiste ? L’interprétation, même sur un vers si court, a un poids majeur.

Sémantique interprétative

« La sémantique interprétative relie trois paliers de la théorie sémantique (la micro-, la méso- et la macrosémantique) aux trois paliers de la description linguistique (mot, phrase, texte). Ainsi, ces trois paliers théoriques permettent une caractérisation des spécificités de chaque palier. Le sens et la signification sont traditionnellement définis au niveau du mot, ce dernier assure la référence ; tandis que le palier de la phrase se charge de la représentation susceptible de jugement de vérité. Quant au palier du texte, il reste primordial, car la connaissance de ses caractéristiques permet de donner du sens à la phrase et au mot. Pour Rastier, privés de leur contexte, les mots et les phrases conservent, en général, des caractéristiques morphosyntaxiques indentifiables, mais leur sens reste indéfiniment équivoque. Seule la connaissance du contexte proche et lointain peut guider les interprétations plausibles. La sémantique interprétative permet donc de faire communiquer l’en deçà du mot et l’au-delà de la phrase. C’est le cas des isotopies qui se constituent par la récurrence de traits sémantiques et qui s’étendent du mot au texte. » (Gboko, 2020).

La question de l’intention

Comme rappelé plus haut, le phénomène tératologique est un événement accidentel congénital d’altération du plan d’organisation d’origine exogène (toxique, infectieux, environnemental) ou génétique (anomalie chromosomique, mutation génique) ou une interaction entre ces deux types de facteurs, considéré alors le plus souvent comme stochastique (effet du hasard en biologie) devant l’absence de cause simple connue.

On peut arguer que l’intention de la métaphore par le locuteur repose dans le modèle tératologique sur deux phénomènes non exclusifs :

  • l’intention tératogène du poète ;
  • une stochastique fondamentale — tel un moteur du « penser-non-dirigé » jungien.

En effet, quelle que soit la part de la construction intellectuelle, qui peut dire d’où jaillit l’idée toute première de l’association analogique intentionnée ? A minima on peut imaginer un tri cognitif du trait métaphorique idoine à partir d’un flux d’origine reposant sur une part de hasard, « non dirigée » — flux brut du possible des images qui serait éminemment influencé par le contexte culturel et subjectif : cf. la problématique de l’écriture automatique recyclant des clichés socioculturels, métaphoriques et linguistiques.

Nous reparlerons de stochastique de la métaphore au sujet de l’image surréaliste.

La métaphore et le monstre : figures de l’écart, figures du semblable

« La réalité est idiote parce qu’elle est solitaire (…),
il lui suffira donc d’être deux pour (…) devenir susceptible de recevoir un sens. C’est le propre de la métaphysique, depuis Platon, que de comprendre le réel grâce à une telle duplication ; de doubler l’ici d’un ailleurs, le ceci d’un autre, l’opacité de la chose de son reflet. Rendre au monde unilatéral, pour reprendre l’expression d’Ernst Mach, son complément en miroir. Les objets du monde constituent alors un ensemble incomplet dont la signification apparaîtra
avec la série de leurs compléments en miroir. »
(Clément Rosset, L’Idiotie)

L’imago

Dans Rhétorique à Herennius, texte latin du Ier siècle avant notre ère, la comparaison par figure est dénommée imago. Or, pour le biologiste, l’imago désigne le stade final d’un individu dont le développement se déroule en plusieurs phases, comportant une métamorphose larvaire (insectes, amphibiens). Le terme imago signe une réalité complexe : développementale et comparative. Le mot décrit bien le modèle tératologique que l’on construit ici : deux imagos faisant imago, chefs autonomes et pourtant indivis, symbolisant la dialectique de la métaphore vive. Les réseaux sémiques sont en interaction riche à la fois parce que dissemblables et parce que similaires ; à la fois parce qu’éloignés par la scission et localement rapprochés par la fusion partielle.

Quand l’hétérogène qui jaillit au sein d’un énoncé métaphorique est simplement analysé par les notions de substitution de mots, de phore et de thème, de sens littéral et de sens figuré, ou, au contraire, réduit à son plus petit sens commun là où ce sont parfois les traits les plus paradoxaux qui emportent l’enthousiasme, la richesse, la vivacité de la métaphore vive est manquée. Jean-Baptiste Renault écrit que la métaphore est « une ressemblance dans la dissemblance mais aussi une dissemblance dans la ressemblance qui sont menacées chaque fois que l’on cherche à substituer le mot, l’image ou l’idée comparé(e) au mot, à l’image ou à l’idée comparant(e). Sans cette tension, cette impossibilité à être considérée comme pure ressemblance, la métaphore ne serait plus métaphore : c’est elle qui produit l’effet d’étrangeté nécessaire à la perception d’une nouveauté. »

On voit que la notion d’écart (à une norme, qui est à définir, cf. infra) et celle de similitude sont constitutives des théories de la métaphore.

« Robert est un bulldozer »

Une interprétation par Hugues Constantin de Chanay
et Sylvianne Rémi‑Giraud

« Sachant que le bulldozer est défini comme « engin de terrassement, tracteur à chenilles très puissant », on se met à la recherche d’une analogie entre les deux catégories et, à partir de l’attribut dominant du comparant, on comprend quelque chose comme « Robert est un homme qui a une très grande puissance d’action ». Mais la finalité de la figure est précisément de ne pas dire cela. Grâce à la métaphore, ce représenté, qui se situe à un niveau conceptuel et se caractérise par une faible densité d’information, se trouve enchâssé, pour ne pas dire « encapsulé », dans un lexème spécifique qui va — pour reprendre un terme souvent employé par G. Kleiber — le revitaminer, en mettant à son service la totalité de son sémème. C’est là que la signification littérale reprend ses droits et que les traits dits non pertinents entrent en action.

On partira de la définition du mot bulldozer, qu’on peut segmenter en trois parties relatives à :

– la nature de l’objet : engin, tracteur, c’est-à-dire une grosse machine, un gros véhicule ;

– la structure de l’objet : à chenilles ; ce trait est lui-même en rapport avec une propriété de l’objet, puisque la chenille est une « bande métallique articulée isolant du sol les roues d’un véhicule pour lui permettre de se déplacer sur tous les terrains et de franchir certains obstacles » ;

– la finalité de l’objet : de terrassement, le terrassement étant défini comme « opération par laquelle on creuse, on remue ou on déplace la terre ; travaux destinés à modifier la forme naturelle du terrain ».

Cette définition contient deux sortes de traits. Il y a d’une part les traits relatifs à la catégorisation, qui permettent l’identification de l’objet : le trait générique qui dénomme (engin, tracteur) et ceux qui en découlent, qu’il s’agisse de décrire la structure de l’objet (chenilles), la fonction (terrassement) ou le milieu naturel (terrain(s), terre). D’autre part, on relève des traits de propriété : ce sont les caractéristiques de l’engin, qui est gros, capable de se déplacer sur tous les [terrains], de franchir certains obstacles, de creuser, remuer ou déplacer [la terre], de modifier la forme naturelle [du terrain]. Dans le processus métaphorique, ces traits de sens s’organisent et se hiérarchisent en fonction du rôle qu’ils vont jouer dans la valorisation du représenté. Ce sont les traits de propriété qui viennent en premier, en raison de leur aptitude à s’associer immédiatement au représenté. Ils constituent le réservoir d’où l’on tire les qualités susceptibles d’être attribuées au comparé. Ainsi se dessine, comme un bulldozer en contrepoint, la personnalité de Robert. Il a beaucoup de force et d’énergie ; il a la capacité d’aller de l’avant dans toutes les situations et de franchir tous les obstacles et il a des formes d’action qui modifient profondément l’environnement dans lequel il se trouve. Mais que deviennent les traits relatifs à la catégorisation de l’objet, en principe incompatibles avec le représenté ? Doivent-ils s’effacer complètement ? Nous ne le pensons pas. S’ils sont désactivés au plan référentiel (Robert n’est ni un engin, ni un tracteur, il n’est pas muni de chenilles et n’est pas préposé à des travaux de terrassement), ils servent à caractériser de manière hyperbolique les propriétés dégagées et deviennent, en quelque sorte, des « surligneurs d’intensité ». Si Robert a tous les pouvoirs précédemment conférés, c’est qu’il a, non pas une très grande puissance, mais une « puissance d’engin-de-terrassement-tout-terrain-à-chenilles » : de l’intensité quantitative, on passe à l’intensité qualitative, forcément plus expressive. C’est là que la métaphore dit encore plus. En l’occurrence, elle dit, à travers cette référence à l’énorme puissance de la machine, ce qu’aucun quantifiant ne pourrait exprimer, c’est-à-dire le caractère à la fois surhumain et inhumain de Robert : un homme qui a une force d’action hors du commun et devant lequel personne ne résiste. Comme devant l’arrivée d’un bulldozer qui écrase tout sur son passage, on ne peut que se mettre à l’abri… Aucun mot ne pourrait dire tout cela à la fois : il y faudrait, comme nous venons de le faire, plusieurs lignes de commentaires. »

Source : Constantin de Chanay Hugues, Rémi-Giraud Sylvianne. « Espèces d’espaces » : approche linguistique et sémiotique de la métaphore. Mots. Les langages du politique, 2002;68:75-105.

Court rappel historique

De l’image poétique moderne aux néo-rhétoriciens des années 70

Suite au déclin de la rhétorique à la fin du XIXe siècle, la considération des tropes décline. Le terme « image poétique » tend à remplacer de manière englobante toutes les figures de similitudes. Avec le structuralisme et les thèses du linguiste russo-américain Jakobson, l’étude des tropes connaît un renouveau considérable depuis les années 1960. Rappelons que pour Saussure le langage se déploie selon deux axes : un axe syntagmatique (portant la structure syntaxique de la phrase comme suite de syntagmes) et un axe paradigmatique (portant les valeurs possibles associées à chaque syntagme). Jakobson enrichit le modèle en considérant les deux tropes majeurs métonymie et métaphore comme les mécanismes sous-jacents à l’œuvre respectivement dans les opérations d’associations de l’axe syntagmatique (métonymie = contiguïté : « le boulanger fabrique la baguette ») et de sélections de l’axe paradigmatique (métaphore = similarité : boulanger/boucher/cordonnier ; fabrique/découpe/répare ; baguette/viande/chaussure). Le trope, de figure rhétorique vieillotte, gagne le statut de processus linguistique fondamental. Métaphore et métonymie sont donc présentes dans tout discours, que ce soit dans un poème ou dans un discours référentiel « ordinaire ». Cette puissance descriptive systémique porte toutefois en elle un défaut (« structuraliste ») : aussi fondamentale soit-elle la métaphore selon Jakobson (et, dans son sillage, nombre des néo-réthoriciens des années 1970) demeure un phénomène local de simple substitution (« un mot pour un autre », Lacan). Les textes des années 1970 s’illustrent par une grande complexité et des contradictions théoriques nombreuses (voir Jean-Baptiste Renault pour une analyse et une critique exhaustive). L’enjeu en est souvent la caractérisation du trope générateur de tous les autres : il s’avère être la synecdoque pour Todorov (1970), la métonymie pour Henry (1975) et la métaphore pour Ricœur (1975). L’ouvrage Rhétorique générale du Groupe de Liège (Groupe µ, 1970) pousse loin l’analyse structuraliste et fonctionnelle en fondant le système des tropes centraux (les « métasémèmes ») sur une combinatoire complexe, la métaphore étant par exemple réduite à la succession de deux synecdoques — l’exemple donné est la métaphore de « la jeune fille en bouleau », qui serait la conjonction d’une synecdoque généralisante (du plus précis au plus général) faisant passer de « bouleau » à « flexible » et d’une synecdoque particularisante (du plus général au plus précis) remplaçant « flexible » par « jeune fille ».

La métaphore vive 

Dans La métaphore vive (1975), Paul Ricœur critique des affadissements de la métaphore vue comme outil strictement sémiotique, la substitution « mot pour mot », ramenant la figure à un simple écart au langage commun. Il veut mettre l’accent sur la dimension discursive et pas seulement lexicale : la substitution productrice d’écart, n’est qu’un des temps du fait métaphorique, un tour de la pensée qui doit être réduit afin de percevoir la ressemblance (la métaphore « fait voir le semblable », Aristote). Se référant au linguiste Benveniste, Ricœur entend compléter la classique sémiotique des tropes par une sémantique et il cherche à mettre en valeur la complexité structurale et pragmatique de la phrase et de l’énoncé : « La métaphore maintient deux pensées de choses différentes simultanément actives au sein d’un mot ou d’une expression simple, dont la signification est la résultante de leur interaction. » Ricœur enjoint à se réapproprier la définition de la métaphore par Aristote, dans toute son épaisseur, c’est-à-dire à l’œuvre dans le discours de l’orateur ou celui du poète (cf. infra) en rapport à « la noblesse de l’élocution ». M. Klinkenberg, membre du Groupe µ, affirme de même plus récemment (1990) : « Une conception de la métaphore comme mot ne peut qu’aboutir à des apories (…), elle doit nécessairement être remplacée par celle de la métaphore-énoncé. »

L’écart

On peut opposer schématiquement trois visions du fonctionnement métaphorique, entre partisans d’une vigilance sémantique (qui décèlerait un écart par rapport à un « degré zéro rhétorique »), d’une interaction entre réseaux sémiques porteuse d’un nouveau sens, ou du caractère fondamental des métaphores qui modèlent notre appréhension même de la réalité.

1. Les tropologies substitutives correspondent à la tradition classique (Fontanier) et à la néo-rhétorique. Le trope est considéré comme substitution sémiotique : les figures se résument au remplacement d’un signifiant par un autre et constituent un écart :

– écart « à l’usage » chez les classiques

– écart sémantique par rapport à un « degré zéro rhétorique » (Groupe µ, 1970) représentant la « littéralité maximale du langage » (limite univoque vers laquelle tendrait le langage scientifique notamment).

L’idée d’un « degré zéro rhétorique » est rejetée farouchement par certains (considérant que tout énoncé porte un certain degré de rhétorique, de stylistique, notamment l’énoncé littéral virtuel où s’insère la métaphore, ce qui remet en cause la notion de « degré zéro »). Toutefois, pour le Groupe µ, le degré zéro était à comprendre comme relatif à une norme interne, locale, au discours accueillant la métaphore. Cette notion d’écart à une norme est remis en lumière à l’aune de la linguistique cognitiviste (avec les notions de « pertinence textuelle », de « cohérence conceptuelle », de « jugement de métaphoricité », de « persistance du littéral », objets d’un jugement voire d’une mesure par l’interlocuteur).

2. Alors que les distinguos thème/phore, propre/figuré, comparant/comparé tendent toujours à suggérer que l’une des deux parties de la métaphore apporte l’idée et que l’autre constitue le moyen de transport, les théories de l’interaction (Richards, Ricœur, Black) conçoivent les tropes comme un transfert pour partie réciproque de contenu, comme transformation d’un sujet primaire par un sujet secondaire exprimé littéralement, l’ensemble résultant en un prédicat bénéficiant d’un supplément de signification. Ricœur rend compte de la théorie de Richards comme « d’un commerce entre pensées, une transaction entre contextes ».

3. Dans le cadre praxématique contemporain (le langage comme support du partage du sens dans son effectivité : communication en contexte entre interlocuteurs, dans ses dimensions subjectives et anthropologiques) et cognitif (modèles de la production, de l’émission et de la réception langagière au niveau neurologique), la métaphore est majoritairement considérée comme une modalité du discours comme une autre, qui serait sélectionnée comme simplement plus adéquat à certains contextes ; plus radicale encore est la théorie cognitive de Lakoff et Johnson (cf. infra), selon laquelle sans métaphore nous ne pourrions pas parler de nos expériences les plus fondamentales — la notion d’écart n’a pas de sens dans ce modèle.

Le modèle tératologique possède deux qualités qui peuvent le faire considérer cohérent avec ces approches. On a vu qu’il est un mouvement dialectique entre semblable (car double et aussi car participant à l’ordre naturel) et écart à la nomalité. La tension « monstre » est à la fois celle des deux semblables entre eux, contraints à un rapprochement ontologique et spatial (« nous sommes mêmes quoiqu’autres »), et celle entre ces deux semblables et le monde de la nomalité (« vous êtes autres quoique mêmes »). Dans la copule (le lien) « est comme » de la figure d’analogie, il y a à la fois « est » et « n’est pas » — nous y reviendrons.

Quant à la quantification des traits, le « jugement de métaphoricité », on peut mentionner en passant le fait que, en mutagenèse végétale, la quantification (nombre de pétales, nombre de fleurs par inflorescence, variations de couleurs…) est chose commune, tant dans la sélection variétale de plantes cultivées qu’en recherche de variétés florale (cf. figure).

http://Nombre de pétales croissant dans des variétés de violette africaine (Source : ici).

La chimère : monstre surréel et image surréaliste

Plutôt que de citer la réponse bien connue de Breton à Reverdy au sujet du rôle de l’esprit dans la création de l’image surréaliste, je propose cet extrait du poème Union libre d’André Breton (1931).

Ma femme à la chevelure de feu de bois
Aux pensées d’éclairs de chaleur
A la taille de sablier
Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d’étoiles de dernière grandeur
Aux dents d’empreintes de souris blanche sur la terre blanche
A la langue d’ambre et de verre frottés
Ma femme à la langue d’hostie poignardée
A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
A la langue de pierre incroyable
Ma femme aux cils de bâtons d’écriture d’enfant
Aux sourcils de bord de nid d’hirondelle
Ma femme aux tempes d’ardoise de toit de serre
Et de buée aux vitres
Ma femme aux épaules de champagne
Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace
Ma femme aux poignets d’allumettes
Ma femme aux doigts de hasard et d’as de cœur
Aux doigts de foin coupé
Ma femme aux aisselles de martre et de fênes
De nuit de la Saint-Jean
De troène et de nid de scalares
Aux bras d’écume de mer et d’écluse
Et de mélange du blé et du moulin
(…)

L’image surréaliste selon Breton est une image surréelle et le modèle tératologique naturaliste ne rendra pas compte de cela… C’est l’image chimérique, thème monstrueux courant avant le XIXe siècle, qui peut symboliser cet écart maximal. Les cadavres exquis sur fond noir (1929-1931), pendant graphique du jeu d’apposition linguistique, en sont emblématiques. La question du hasard, de l’arbitraire, du stochastique tératogène se pose. Citons Léo Pinguet (2019) qui résume la problématique « en se laissant aller, à l’automatisme, à l’inconscient, on n’atteint pas l’individuel ou le personnel, seulement un style collectif, un style cliché, dont il faudrait généralement se garder, à moins que l’on décide de s’y livrer, comme c’est notamment le cas dans l’écriture automatique surréaliste, afin de renverser la vapeur du banal et de créer de l’extraordinaire par une nouvelle combinatoire désarticulée de clichés. » — une combinatoire qu’on retrouve de manière frappante dans cette allégorie de la Nature gravée au XVIe siècle.

Les « monstres doubles », quant à eux, sont à trouver chez Dalí qui, par sa méthode paranoïaque-critique, cherche à constituer des images doubles, c’est-à-dire « la représentation d’un objet qui, sans la moindre modification figurative ou anatomique, soit en même temps la représentation d’un autre objet absolument différent, dénuée elle aussi de tout genre de déformation ou anormalité qui pourrait déceler quelque arrangement […] Ces nouveaux simulacres menaçants agiront habilement et corrosivement avec la clarté des apparences physiques et diurnes. L’obtention d’une telle image double a été possible grâce à la violence de la pensée paranoïaque qui s’est servie, avec ruse et adresse, de la quantité nécessaire de prétextes, coïncidences, etc., en en profitant pour faire apparaître la deuxième image qui dans ce cas prend la place de l’idée obsédante. L’image double (dont l’exemple peut être celui de l’image d’un cheval qui est en même temps l’image d’une femme) peut se prolonger, continuant le processus paranoïaque, l’existence d’une autre idée obsédante étant alors suffisante pour qu’une troisième image apparaisse (l’image d’un lion par exemple) et ainsi de suite jusqu’à concurrence d’un nombre d’images limité uniquement par le degré de capacité paranoïaque de la pensée. » (L’Âne pourri, publié dans la revue Le Surréalisme au service de la Révolution, n° 1, 1930).

Les monstres du quotidien

La catachrèse

Le grammairien Fontanier (1765-1844) définit la catachrèse comme ce qui « consiste en ce qu’un signe déjà affecté à une première idée, le soit aussi à une idée nouvelle qui elle-même n’en avait point ». La catachrèse supplée à la carence du langage : « au pied du mur », « un mur aveugle », « aile d’avion », « feuille de papier », « souris d’ordinateur », « naviguer sur le net »… Mécanisme linguistique d’extension du sens du signe, la catachrèse est un fondement de la polysémie et est très fréquemment à l’œuvre.

Ce cas pourrait paraître différent d’une métaphore au sens où ce qui se déploie ici n’est pas rapproché d’un comparé, puisque celui-ci n’existe pas (le « pied » de la table ou « l’aile » de l’avion n’ont pas trouvé de signifiant autre que métaphorique dans la langue). Ce point longtemps épineux (discuté par J.-B. Renault ou P. Kuentz) fut en général résolu selon deux stratégies peu satisfaisantes : on considère la catachrèse comme pure phénomène sémiotique (de mot : un trope) et non de figure (de discours) (Ricœur) et/ou on fait de la catachrèse une figure « forcée », « d’usage » (Fontanier), par opposition aux figures « de plaisir », « d’ornement », de « création » (métaphore, métonymie, synecdote).

On ne peut toutefois nier qu’une relation d’analogie est au fondement de la catachrèse : seulement le comparé reste virtuel. Qu’on la dénomme extension de sens ou polysémie par emprunt cette voie semble s’intégrer conceptuellement à l’ontogenèse selon Guillaume à partir de la substance lexicale : une ontogenèse unique, non bifurquée, non monstrueuse. Le modèle du vivant — si on veut bien le prendre au sérieux (!) — implique que le signe du référentiel comparé d’une formule catachrésique n’est tout simplement jamais « venu au monde » dans l’histoire de la langue : c’est un « comparant » qui a été choisi et fait désormais partie de la substance lexicale. Mais alors, où la nature analogique que l’on sent à l’œuvre se noue-t-elle ?

Lakoff et Johnson : théorie des métaphores conceptuelles 

L’ouvrage de Lakoff et Johnson, Les métaphores dans la vie quotidienne (1980, traduit en 1986), a profondément modifié le champ de la linguistique cognitiviste et celui de la théorie de la métaphore. Selon cette approche — qui a depuis ouvert un champ très dynamique et où les données empiriques et théoriques sont désormais abondantes et cohérentes (Gréa, 2001) —, le phénomène fréquent de la catachrèse serait à chercher très en amont dans la morphogenèse du langage. Elle aurait pour fondement premier la perception conceptuelle des référentiels (les choses au monde) : le pied de la falaise est ce sur quoi elle repose et l’homme le perçoit par le prisme de son corps dans son étendue même dans le monde ; l’homme projette le concept de stabilité sur son propre pied à la falaise. Cela implique l’existence de concepts métaphoriques en amont de la langue. Autrement dit qu’il existe un fondement naturel à la métaphore, une « gestalt expérientielle », c’est-à-dire l’existence de schèmes élaborés à partir d’expériences récurrentes de notre corps dans le monde (le vertical, le latéral, le symétrique, la fin, le début, le temps…) (Chanay et Rémi‑Giraud, 2002) (cf. figure ci-dessous). Ces schémas récurrents sont dénommés « métaphores conceptuelles » : nombreuses, elles articulent fondamentalement notre compréhension du monde et auraient donc une place prépondérante dans l’ontogenèse du langage (individuelle, globale, phylogénétique). La métaphore conceptuelle (conceptual metaphor) consiste en une suite de correspondances (mappings) conceptuelles projetées d’un domaine source (source domain) au domaine cible (target domain) dans le système conceptuel de la cognition. Reposant sur un principe d’économie dans la langue et de nécessité de description du monde, on comprend que ce mécanisme d’extension catachrésique par projection soit très répandu et toujours à l’œuvre (construction des néologismes, qui attribuent aux nombreuses réalités nouvelles des signes déjà utilisés : « naviguer sur internet »…). De là, il est cohérent que ce processus ait un fondement cognitif profond.

Proposition de représentation symbolique de la théorie des métaphores conceptuelles (Lakoff et Johnson, 1980).

Dans l’exemple de la catachrèse du « pied de la falaise », c’est la métaphore conceptuelle fondamentale « LES PARTIES DU CORPS SONT DES PARTIES DES OBJETS » qui pourrait être engagée (cf. figure ci-dessous).

Il est tentant de rapprocher les métaphores conceptuelles des schèmes mentaux topologiques de la théorie morphodynamique de Thom mentionnés plus haut, qui sont cohérents avec une « gestalt expérientelle » subjective (J. Petitot, 2016).

Selon Lakoff et Johnson, étant fondamental, ce mécanisme de projection expliquerait non seulement les catachrèses et métaphores usées du quotidien mais également toutes les métaphores textuelles, complexes, de création, poétiques… et également leurs modalités d’interprétation par le destinataire. Tous les linguistes ne suivent pas les cognitivistes sur ce point. Une approche est de considérer les métaphores riches comme décomposables en plusieurs métaphores conceptuelles basales.

Mécanisme de la projection dans le modèle des métaphores conceptuelles.

Morphogénétique des métaphores

Dans notre modèle d’engendrement, nous pouvons proposer les deux processus suivants.

La nature dédoublée du corps métaphorique : symétrie fondamentale du plan d’organisation

Dans les premières étapes de l’ontogenèse embryonnaire se déploieraient les métaphores conceptuelles, jusqu’à la gastrulation et la mise en place des feuillets fondamentaux pré-phrastiques — c’est-à-dire à la frontière entre idéogenèse et morphogenèse guillaumiennes ; elles seraient au fondement des dichotomies/symétries et catégorisations fondamentales du langage, que l’on peut dénommer dans le modèle embryogénétique le « plan d’organisation », porteur de des dédoublements anatomiques nomaux : médial/latéral, cranial/caudal, postérieur/antérieur, interne/externe.

Tératogenèse

Les métaphores « littéraires », quant à elles, relèveraient de l’action tératogène du locuteur/poète, également très en amont, par un usage « créatif », combiné, en tout cas différent des métaphores conceptuelles de base. La tératogénicité créerait les « anomalies du plan d’organisation », l’insolite, le monstre double du langage (qui est doublement symétrique, donc).

Ontologie de l’absence

La métaphore ontogénétique du langage poétique qui pousse à théoriser l’avènement du monstre, nous éloigne du structuralisme linguistique et nous fait aborder les rivages de la phénoménologie. Paul Ricœur a placé cet enjeu ontologique du langage poétique au cœur de son ouvrage La métaphore vive (1975) : d’où naît la possibilité de dire le monde dans le poème au langage pourtant auto-référencé ? Citons-le : « J’avoue très volontiers que ces analyses présupposent sans cesse la conviction que le discours n’est jamais for its own sake, pour sa propre gloire, mais qu’il veut, dans tous ses usages, porter au langage une expérience, une manière d’habiter et d’être-au-monde qui le précède et demande à être dite. C’est cette conviction de la préséance d’un être-à-dire à l’égard de notre dire qui explique mon obstination à découvrir dans les usages poétiques du langage le mode référentiel approprié à ces usages, à travers lequel le discours continue de dire l’être, lors même qu’il paraît s’être retiré en lui-même, pour se célébrer lui-même. Cette véhémence à fracturer la clôture du langage sur lui-même je l’ai héritée de Sein und Zeit de Heidegger et de Wahrheit und Methode de Gadamer. » (dans la revue Esprit, 1986) [souligné par moi].

La métaphore tératologique, l’« être monstrueux » du discours poétique, nous dit-elle quelque chose de l’« être à dire » ?

Herméneutique et philosophie analytique chez Ricœur, enjeu de la capacité référentielle de la métaphore

Première objection (Jean-Marc Tétaz, 2014)

En brèche contre le structuralisme qui « exclut toute considération de type herméneutique » puisque, « pour le structuralisme, il n’y a pas de message à délivrer, pas de sens à déchiffrer, pas d’intentions transcendantes à saisir existentiellement » (Ricœur, 1971), l’auteur de La métaphore vive veut reconquérir la capacité du langage à faire référence, sa dimension sémantique (alors que le structuralisme développe une sémiotique, la dimension du signe). La philosophie analytique du langage anglaise (Frege, Russell, Wittgenstein) dresse un cadre favorable car elle étudie le langage dans ses capacités à représenter la réalité et s’appuie sur une linguistique structuraliste. Grâce au pont épistémique que constitue cette philosophie analytique du langage (effectuation du monde référentiel par la sémantique du discours), Ricœur va articuler sa phénoménologie herméneutique (interprétation des fondements ontologiques de la signification du texte poétique) et la linguistique structuraliste (notamment celle de Roman Jakobson) — ce qui constituait un (très) grand écart conceptuel…

Sémiotique, sémantique, herméneutique

« La distinction entre signe, sens et symbole permet en première approximation de délimiter des objets relatifs à des disciplines et à des approches différentes: la sémiotique pour le premier, la sémantique pour le second, l’herméneutique pour le troisième. D’une part, la sémiotique, du moins dans l’héritage de la sémiologie saussurienne, n’aurait affaire qu’à des rapports différentiels entre signes de nature dyadique (signifiant/signifié). D’autre part, la sémantique, du moins dans l’héritage de Benveniste, n’aurait affaire qu’au sens dont l’unité repose sur le discours qui dit quelque chose sur quelque chose. Enfin, l’herméneutique, du moins dans la filiation de Ricœur, n’aurait affaire qu’à des structures de signes à double sens que le philosophe appelle des symboles. » (Johann Michel, 2019).

Jean-Marc Tétaz a souligné dans un article où il s’interroge sur « l’intégration de la philosophie analytique du langage dans le projet herméneutique d’ensemble dont La métaphore vive pose les bases » que ce projet se heurte à des limites à force de vouloir « concilier les inconciliables ».

Précisément, Ricœur, en parallèle à l’analyse de la portée de la métaphore en termes de sémantique (sa capacité intra-linguistique, structurelle, à représenter la réalité), maintient toujours un paradigme ontologique (extra-linguistique) qui jouerait le rôle de facteur innovant principal (ni plus ni moins que le cœur du discours poétique donc)  : « Quand je parle, je sais que quelque chose est porté au langage. Ce savoir n’est plus intra-, mais extra-linguistique ; il va de l’être à l’être-dit (…). Kant écrivait : “il faut que quelque chose soit pour que quelque chose apparaisse” ; nous disons: “Il faut que quelque chose soit pour que quelque chose soit dit”. »

Jean-Marc Tétaz pointe le pourquoi de l’aporie : « J’en veux pour preuve la façon dont Ricœur propose une ultime synthèse de sa conception des mécanismes sémantiques à l’œuvre dans la production métaphorique : “C’est ce sens déjà constitué qui est délié de son ancrage dans un champ de référence premier et projeté dans le nouveau champ de référence dont il contribue dès lors à faire apparaître la configuration. Mais ce transfert d’un champ référentiel à l’autre suppose que ce champ soit déjà en quelque sorte présent, de manière inarticulée, et qu’il exerce une attraction sur le sens déjà constitué pour l’arracher à son ancrage premier. Deux énergies se rencontrent ainsi : l’effet gravitationnel exercé par le champ de référence second sur la signification – et qui donne à celle-ci la force de quitter sa région d’origine – et le dynamisme de la signification elle-même, en tant que principe inducteur de sens.” [Ricœur, 1971]. » Ricœur émet ici l’hypothèse qu’un phénomène d’« attraction gravitationnelle » régit l’interaction entre les deux analogons de la métaphore vive. Effectivement pointe alors le danger d’une contradiction : pour pouvoir attirer de manière gravitationnelle le réseau sémique comparant (qui porte le dynamisme intra-linguistique de la signification), le réseau sémique comparé doit être déjà « plein du sens » dont il devrait s’enrichir… ou empli de cette source ontologique. Jean-Marc Tétaz détaille : « La production métaphorique est donc la conjonction d’un facteur ontologique (l’effet gravitationnel exercé par le champ de référence) et d’un facteur sémantique (le dynamisme de la signification résultant de la tension entre le sujet et le prédicat). (…) Mais, si l’attraction ontologique déploie vraiment cet “effet gravitationnel” alors le travail patient du poète sur la langue est inutile. Il est même impossible : comment mettre en jeu des procédés concertés et maîtrisés là où quelque chose advient au langage de sa propre énergie, hors de tout contrôle conscient ? La pointe ontologique de la théorie de la métaphore élaborée par Ricœur met ainsi en évidence les limites de sa réception de la philosophie analytique. »

Seconde objection (Luce Fontaine-De Visscher, 1979)

Luce Fontaine-De Visscher est incisive sur cet avènement du transcendantal dans le fait métaphorique selon Ricœur : « D’une part la métaphore est incontournable et tout discours, même spéculatif, est pris en elle ; d’autre part l’esprit s’en sert comme instrument pour exprimer ce qu’il sait toujours déjà au départ (donc avant le langage) : qu’il y a de l’Être ; et voilà la métaphore et le langage repliés une fois pour toutes sur leur secret. (…) Le transcendantal serait co-originaire avec le langage “grâce à sa capacité réflexive, le langage se voit comme rapporté à ce qui est” [elle cite Ricœur]. Dans cette “réflexion” totalisante, nous voyons une fois de plus le langage se dissiper comme un nuage et disparaître devant le non-langage. Son “usage”, son “usure” ne sont plus pensés. Or y aurait-il réflexion si elle n’était inachevable de principe, si l’épaisseur du langage n’était première, permettant au langage d’être ce mouvement indéfini de reprise sur soi ? Ignorer la béance n’est pas la supprimer, c’est viser le profil (Abschattung) [ou “esquisse” : sensations partielles de la perception d’un objet selon Husserl, fondateur de la phénoménologie] et ne pas voir la profondeur sur laquelle il se découpe. »

Possibles apports du modèle tératologique

L’œuf « être-à-dire »

Prenons l’image de l’embryogenèse au premier degré : elle est par définition le déploiement d’un être [non en son sens de singularisation ici bien sûr, mais d’ontogenèse anatomique] à partir de l’œuf fécondé, qui est un être-à-venir. Dans le modèle oncogénétique du langage, considérons maintenant l’œuf comme l’être-à-dire ricœurien. En termes de substrats neurocognitifs, on peut imaginer que l’œuf symbolise la condensation des intentions relatives aux actes de langage et la conceptualisation préverbal du message, une des étapes de la production du langage (pour une revue, voir par exemple les publications du Laboratoire Parole et Langage de l’université d’Aix).

Autonomie et auto-organisation

Dans le modèle tératologique, on l’a vu, le dédoublement est partiel et l’interaction repose à la fois sur des organes en commun et des organes dédoublés, dualité qui symbolise la richesse de la tension intra-linguistique métaphorique au fondement de l’innovation sémantique. Cette tension résulte d’une anomalie développementale mais elle se déploie malgré tout par une ontogenèse selon les règles du « nomal » (Geoffroy Saint-Hilaire). Ainsi, le modèle suggère que « quelque chose est dit » de manière autonome et auto-organisée, issu de l’œuf « être-à-dire » mentalisé. Le facteur externe est le poète tératogène.

La référence dédoublée : « Aixo era y no era »

Ricœur écrit : « Mais ne quittons pas Roman Jakobson sans avoir recueilli de lui une suggestion précieuse qui ne livrera tout son sens qu’à la fin de cette étude. L’équivalence sémantique induite par l’équivalence phonique entraîne une ambiguïté qui affecte toutes les fonctions de la communication ; le destinateur se dédouble (le je du héros lyrique ou du narrateur fictif), de même aussi le destinataire (le vous du destinataire supposé des monologues dramatiques, des supplications, des épîtres) ; d’où la conséquence la plus extrême : ce qui arrive en poésie, ce n’est pas la suppression de la fonction référentielle, mais son altération profonde par le jeu de l’ambiguïté : “La suprématie de la fonction poétique sur la fonction référentielle n’oblitère pas la référence (la dénotation), mais la rend ambiguë. À un message à double sens correspondent un destinateur dédoublé, un destinataire dédoublé et, de plus, une référence dédoublée — ce que soulignent nettement, chez de nombreux peuples, les préambules des contes de fées : ainsi, par exemple, l’exorde habituel des conteurs majorquins : Aixo era y no era (cela était et n’était pas)”. Gardons en réserve cette notion de référence dédoublée, et l’admirable “cela était et n’était pas”, qui contient in nuce tout ce qui peut être dit sur la vérité métaphorique. » (La métaphore vive, 1975).

La métaphore poétique, le discours poétique tel qu’il se révèle monstre, nous oblige à penser (interpréter) non seulement le double analogon auto-référencé (le discours poétique qui parle de lui-même) [première référence] mais aussi la non-advenue à la parole de l’être idéal — l’enfant parfait qui n’est pas né —, qui est le référentiel échappant à la métaphore et est donc bien un absolu [seconde référence].

La métaphore du monstre double métaphorique est la « référence dédoublée » que Paul Ricœur emprunte à Jakobson, relevant non pas de la scission monstrueuse du double analogon comme on pourrait le penser superficiellement, mais, d’une part, de la signification métaphorique qui en découle, et, d’autre part, de la référence absolue en tant qu’elle est absente : le référentiel, « enfant idéal » du langage.

Être monstre double c’est ne pas être l’individu unique qu’on aurait dû être. Le monstre est et n’est pas : aixo era y no era, formule rituelle d’entrée dans la narration.

Herméneutique du « est comme » métaphorique

L’herméneutique (l’interprétation) du « A est comme B » du discours métaphorique est alors l’outil phénoménologique par excellence puisqu’elle explore ce qui était à dire et n’a pas été dit.

Ricœur écrit : « Un examen de la puissance d’affirmation déployée par le langage poétique montre que ce n’est pas seulement le sens qui est dédoublé par le procès [au sens de processus] métaphorique, mais la référence elle-même. Ce qui est aboli, c’est la référence au discours ordinaire, appliquée aux objets qui répondent à un de nos intérêts, notre intérêt de premier degré pour le contrôle et la manipulation. Suspendus cet intérêt et la sphère de signifiance qu’il commande, le discours poétique laisse-être notre appartenance profonde au monde de la vie, laisse-se-dire le lien ontologique de notre être aux autres êtres et à l’être. Ce qui ainsi se laisse dire est ce que j’appelle la référence de second degré, qui est en réalité la référence primordiale. »

La métaphore du monstre métaphorique nous suggère plutôt que ce qui n’a pas été dit est un autre idéal dont il faut faire le deuil. La référence primordiale ne serait pas la « référence de second degré » du laisser-dit par la métaphore mais bien l’être-non-dit idéal qui est perçu/pensé par le discours poétique de son absence.

Poétiser c’est faire le deuil du réel.

Conclusion

L’image du monstre métaphorique permet plusieurs mouvements, certains classiques et cohérents avec le corpus théorique, d’autres peut-être plus originaux.

  1. Comme être complexe en discours, le monstre double métaphorique dépasse la nature purement tropique de la métaphore (rhétorique du mot) et s’engage sur la voie de la polysémie du discours — ce qui répond à l’exigence ricœurienne de la métaphore vive.
  2. S’inspirant de l’ontogenèse de Guillaume et de la morphodynamique de Thom, ce modèle tératologique dialectise les rapports entre substance et forme, continu et discontinu.
  3. Phénomène dynamique à la temporalité orientée, le modèle ontogénétique évite a priori l’écueil des modèles de circularité de la métaphore et du langage auto-référent.
  4. Par le rapprochement des deux analogons de valeurs équivalentes, il rend compte de la théorie de l’interaction dans le discours métaphorique.
  5. La figure du plan d’organisation de l’espèce, fondamentalement symétrique, est cohérente avec la théorie des métaphores conceptuelles fondamentales (Lakoff et Johnson). Dans ce cadre, le poète est compris comme agent tératogène qui dédouble le plan d’organisation nomal et fait émerger le monstre.
  6. Le modèle ose proposer une définition du « langage zéro », qui serait compris comme « ce qui n’a pas été dit », le jamais-énoncé virtuel qui, d’une part, est resté au stade de l’idéogenèse chez le locuteur et, d’autre part, est objet d’une interprétation par l’interlocuteur. Le langage zéro est à la fois substance lexicale restée pré-déterminée et herméneutique.
  7. La figure du monstre dit la restructuration du monde du lecteur face à l’insolite, la détresse, la refiguration métaphorique et fonde un acte de langage expressif.
  8. Comme processus ontologique, elle porte une signification d’ordre phénoménologique : le monstre métaphorique est un discours sur l’absence (celle du référentiel, « enfant idéal » du langage), un deuil du réel.

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