Parme Ceriset, Boire la lumière à la source, Éditions du Cygne, 2023.

Parme Ceriset est une louve qui a traversé une interminable nuit — moi, son lecteur, comment puis-je concevoir une nuit qui durerait des années ? Parme Ceriset est une louve qui a mené la lutte pour chaque souffle, remontant « chaque jour des abysses » — moi, son lecteur, oserais-je même imaginer l’angoisse du dernier souffle à chaque respiration ? Parme Ceriset est une louve qui a vaincu cette nuit du souffle éteint et a vu l’aube se lever de nouveau — moi, son lecteur, comment pourrais-je me figurer le jour même de ma naissance ?
Mais l’autrice ne nous demande pas cet impossible, non : simplement prendre la main qu’elle nous tend et la suivre depuis les contreforts du Vercors drômois jusqu’à ses Hauts Plateaux qu’elle a reconquis après une longue absence — comme le loup. Une de ces nuits dont elle n’a désormais plus peur, y « enjamber les hérissons », y vivre de « quelques sourires de rocaille », rejoindre « le glacier noir », y goûter « l’écume de la Voie lactée » et, au matin, « marcher dans les champs qui s’éveillent », humer les premières « saveurs de fruits qui dansent dans l’air » et voir « le jour flamber de tous ses rubis ».
En 2008, année charnière dans la vie de l’autrice, elle reçoit une greffe de poumons qui la sauve. Ce recueil est empli du contraste entre le temps d’avant la greffe et le miracle d’une nouvelle naissance. Au lexique de la mort et de la noyade (le néant, la colère des flots, la longue Nuit et ses ronces, l’obscurité des entrailles souffrantes, les années givrées par le temps) succède une poésie au lyrisme ébloui, une écriture de lumière, de joie, d’affirmation de la transcendance. Un chant, une ode, une aube.
« Dans le miracle bleu de l’aube,
notre souffle reprend vie,
une lueur d’opale
irrigue à nouveau nos joues,
nous revenons de l’ombre
et du sommeil de la nuit,
nos yeux s’ouvrent sur le réel
et nous humons dans l’air fruité
la potion de renaissance, l’élixir d’éternité »
L’autrice fait de son texte le creuset d’une magie blanche, d’une alchimie, en ce qu’il a trait à la fois à la transmutation des éléments, à l’élixir d’éternité, à la mystique des origines de l’univers.
La transmutation des éléments
L’air et l’eau, la lumière et la pureté tiennent une place centrale dans cet hymne à la nature réhabitée. Les éléments échangent leurs propriétés physiques, comme si l’émotion des retrouvailles, le trop-plein des sensations entraînaient une perception fusionnelle. L’eau est lumière et envahit tout, jusqu’aux corps mêmes (elle se répand et « chasse l’obscurité/de nos entrailles souffrantes »). L’air est eau : lui qui peinait à trouver passage, désormais il « inonde les bronches d’un océan d’aurore ». Mentionnée à plusieurs reprises, l’écume est le symbole de cette fusion : ce sont les cascades qui se chargent de mêler intimement l’air et l’eau, créant une « écume de soleil fondu », une « brume d’étoiles ». Le souffle possède pour l’autrice d’infinies variations magiques, des qualités organoleptiques qui nous sont inaccessibles, nous dont les sens du respirer sont émoussés depuis si longtemps par la répétition banale et impensée : « brumes sucrées », « airs fruités », « effluves de soleil vert et de grenat »…
L’enfance, élixir d’éternité
Bien entendu, le thème lyrique de la renaissance irrigue les poèmes : renaître « à la lumière » « au chant des cascades » « aux ciels roses de l’enfance » « à tout ce qui frémit dans l’air ». Plus profondément, de cette re-naissance éclot une seconde enfance : le lait de la mère est évoqué (« source nacrée », « flots nourriciers de sa mer intérieure ») et symbolisé par la Voie lactée ; s’offre la chance de marcher de nouveau dans « les pas effacés de nos fantômes courant sur les plages », « les premiers pas dans la neige »…
Comme dans un rêve d’enfant non encore confronté à la notion de temps et à la finitude de la vie, toute la première partie de l’ouvrage baigne dans un sentiment d’éternité : « ressusciter le mirage/d’éternité », s’abreuver « aux sources du merveilleux »…
La transcendance, la pureté
Dans l’air cristallin des plateaux du Vercors, les étoiles sont omniprésentes, toutes proches, compagnonnes de vie pour qui sait « tendre la main vers la Grande Ourse » et marcher « dans les vergers d’étoiles ». Ce n’est pas seulement la bonne étoile — ce donneur qui a offert la vie : « nous devons notre salut aux étoiles » — mais aussi la source de tout. Elles sont « tout près des sources d’infini » et image même de la transcendance.
« Renaître à l’aube éclatante
à l’écume de Voie lactée
retrouver la source du Temps
et s’y abreuver »
Car Parme Ceriset partage avec nous sa mystique. Est-elle de nature religieuse ou fondée sur la nature ? Quoi qu’il en soit, la spiritualité est revendiquée et, en une contraction saisissante de l’espace, étoiles et poumons, spirituel et organique, se retrouvent mêlés dans un même flux vital :
« Nous devons notre salut aux étoiles.
À la lisière de l’écume
luisent les regards des anges,
nos poumons se déploient
et nous revenons à la vie… »
Ne voit-elle pas un jour « l’Éternité poser son halo de lumière sur les boucles dorées des cheveux en bataille » de son amant ? Mais ce jour est aussi la fin de la seconde enfance et le début de la seconde vie d’adulte :
« Mon amour dormait encore.
Je fus soudain envahie
par l’insupportable prise de conscience de sa nature mortelle »
L’amour, la mort
De beaux vers célèbrent cet amour — l’on pense au « Je t’aime » de Paul Éluard. Mais c’est en contrepoint de notes plus élégiaques :
« L’eau ne sait pas que nous sommes déjà morts,
les rayons d’or ouvrent déjà
leurs grands bras de bonté »
Le temps viendra de « s’évaporer dans l’air du soir/n’être plus qu’une étoile fondue à l’univers ».
Un souffle.
Pierre Gondran dit Remoux