
J’ai lu toutes ses interviews (c’est faux, bien sûr) et il n’en parle jamais (c’est peut-être faux, bien sûr) : pourtant, dans Ni chagrin d’amour Ni combat de reptiles, ça perce les yeux, ça siffle aux oreilles, ça te picore l’épaule, ça te chie dessus d’évidence :
« je n’ai pas de crocs » « je n’ai pas de griffes » « ma crête est dans mon crâne » « dans mon corps (…) un surplus de peau là dans le dos comme des sacs pour les ailes »
Heptanes Fraxion aurait voulu être un oiseau, un de ces « corbeaux qui se fabriquent des outils ».
Cloué au sol, mazouté par la « pluie noire [qui] tombe du ciel », il se donne un nom d’hydrocarbure.
Certes il y a la gare ferroviaire : « mon endroit préféré dans cette petite ville de merde ». Partir (Millau, les Landes, le Gers, Lyon, Limoges…) :
« un monde approche et un autre s’éloigne
ville triste la nuit en gare de chais-pas-où
les toits les parkings les bancs les arbres
un monde approche et un autre s’éloigne
je bois une bière entre deux wagons »
Heptanes Fraxion aurait voulu être un oiseau migrateur.
Cependant :
« sans surprise/l’ennui qui m’a attiré jusqu’ici est strictement le même/qui m’en fait repartir »
Décidément « il n’y a pas de splendeur ».
Alors, oubliant ses ailes coupées (« ce truc qui trop souvent revient »), il observe son quartier, ses habitants, il partage avec nous ce qu’il partage avec eux : il fait des poèmes tristes, il fait des poèmes drôles, il fait des poèmes saignants, il fait des poèmes aimants sur ces femmes et ces hommes, paumées, salauds, salaces, salopes, amoureux (« des figurants » ?), parfois à refrain ciselé pour le spoken word. On pense alors à Kate Tempest. De Toulouse plutôt que Londres. Et sans tempête. Plutôt le calme d’avant — qui dure :
« les zones d’ombre viennent à ma rencontre qui me traversent »
« calme chien/je suis calme chien »
Heptanes Fraxion est à la poésie, ce que l’illustratrice Tanxxx (que de X à eux deux !) est à la BD : l’underground que le mainstream tente d’apprivoiser — ce que je fais là, par exemple —, mais la crête est toujours dans leur crâne.
— Bonus zoologique (joie) : Pourquoi donc ces reptiles ? Les oiseaux sont les fils et filles à sang chaud des dinosaures jurassiques, leurs survivants hantant nos villes. Les combats de coqs dans la ruelle à guetteurs sont bien des combats de reptiles, leur crête sanguinolente et turgide dressée sur la tête.
Pierre Gondran dit Remoux

Jean-François Dejouannet, Archaeopteryx lithographica, 2014. Aquarelle et gouache (détail). Muséum national d’histoire naturelle.